La France paie des millions pour se débarrasser de son surplus d'électricité

Confrontée à une production excédentaire d'électricité, dopée par le nucléaire et l'essor de son parc renouvelable, la France doit vendre son électricité à des prix négatifs. De quoi nourrir des ambitions pour introduire le minage de bitcoins comme consommateur de dernier recours.
Paradoxe de la transition énergétique à la française : en 2024, le pays a battu son record d'exportations nettes d'électricité avec 89 TWh vendus à ses voisins, dopé par un spectaculaire redressement du nucléaire, une production hydraulique exceptionnelle et une forte montée en puissance du solaire.
Pourtant, au printemps 2025, la France se retrouve obligée de payer pour écouler son surplus d'électricité, faute de pouvoir le stocker ou le consommer localement.
Une situation de plus en plus fréquente, coûteuse — et révélatrice des limites actuelles du système.
80 millions d'euros perdus en 2024 à cause des prix négatifs
Depuis plusieurs semaines, RTE, le gestionnaire du réseau de transport, tire la sonnette d'alarme : la France produit plus d'électricité qu'elle n'en consomme, en particulier autour de la mi-journée, lorsque le solaire injecte massivement sur le réseau.
Une offre surabondante dans un contexte de demande contenue par la sobriété énergétique, renforcée depuis la crise de 2022. Résultat : les prix spot deviennent négatifs, forçant les producteurs à « payer pour vendre ».
Le réseau électrique ne peut pas fonctionner en surcapacité, car l'offre et la demande doivent être équilibrées en temps réel. Contrairement à l'eau ou au gaz, l'électricité se stocke très difficilement à grande échelle. Si la production dépasse la consommation, cela peut provoquer des surtensions, endommager les infrastructures, voire entraîner des coupures de sécurité.
Le 2 mars dernier, RTE a dû verser près de 12 000 euros par mégawattheure à ses homologues européens pour se débarrasser d'une électricité excédentaire. L'an dernier, selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE), 80 millions d'euros ont été perdus par les producteurs à cause de ces prix négatifs.
Cette situation s'intensifie au printemps, période où la production solaire explose, alors que les matinées et soirées restent froides, creusant les déséquilibres. Entre mars et avril 2025, RTE a déjà dû brider 13 fois la production renouvelable, notamment en stoppant des éoliennes, contre compensation financière.
Le nucléaire, entre force et rigidité
Le retour en force du nucléaire n'arrange pas le déséquilibre. En 2024, EDF a produit entre 358 et 364 TWh d'électricité nucléaire, contre 279 TWh en 2022, année noire marquée par la corrosion et les arrêts de réacteurs.
Cette production massive, peu flexible, combinée à un solaire en pleine ascension (la France a ajouté 5 GW de capacité solaire l'an dernier, portant le total à 24,5 GW), rend la gestion du réseau de plus en plus complexe.
Le système est conçu pour fonctionner à l'équilibre quasi permanent ; or, les pics de production non consommés deviennent un fardeau.
Pour tenter de lisser la courbe, la CRE envisage une réforme des heures pleines et heures creuses, qui verrait les heures creuses déplacées vers l'après-midi, au moment du pic solaire. Mais le stockage reste le grand absent de l'équation.
Alexis Gléron, qui dirige le cabinet de conseil Augmented Energy, s'attend à voir cette situation revenir « tous les ans tant que l'on n'a pas plus de batteries pour faire de la flexibilité à la hausse et à la baisse », du fait de la montée en puissance du solaire.
Sans batteries massives ou leviers de flexibilité, les surproductions sont vouées à se répéter chaque printemps.
Bitcoin : un consommateur de dernier recours
C'est ici que Bitcoin entre dans l'équation, non pas comme devise, mais comme consommateur intelligent d'électricité excédentaire. Le minage de Bitcoin repose sur une activité énergivore, mais hautement flexible : les machines peuvent s'allumer et s'éteindre à volonté, réagir aux signaux du réseau en quelques secondes, et s'installer au plus près des zones de surproduction.
Cette capacité à absorber les surplus, en particulier ceux non valorisables sur les marchés classiques, commence à séduire certains énergéticiens. Aux États-Unis, des producteurs solaires et éoliens ont déjà intégré des fermes de minage modulaires pour rentabiliser leurs excédents.
Dans le cas français, ces installations pourraient fonctionner exclusivement pendant les heures de prix négatif, rendant un service au réseau tout en générant un revenu marginal.
Le minage de Bitcoin pourrait ainsi offrir une soupape temporaire, en attendant des solutions structurelles.
Le 28 mars dernier, The Big Whale révélait que la ministre déléguée en charge du Numérique Clara Chappaz ouvrait la possibilité qu'EDF s'intéresse au sujet.
« Plutôt que d'en faire un sujet de communication, il faut regarder ça sérieusement. Je sais que certains d'entre vous l'ont déjà étudié, il faut continuer de manière pragmatique à évaluer ce à quoi pourrait ressembler un tel dispositif », avait-elle insisté lors d'une visite au siège de Ledger, l'un des leaders mondiaux de la conservation de crypto-actifs.
« Il faudra analyser ce type de sujet d'un point de vue économique, sans idéologie, et se poser les bonnes questions. »
L'exécutif et l'énergéticien national ont désormais une raison toute trouvée pour explorer ce projet.
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