The Big Whale: En à peine trois mois, vous avez réussi à attirer plus de 10 milliards de dollars d'actifs sous gestion. Comment expliquez-vous un tel engouement pour le restaking ?
Sreeram Kannan (Eigen Labs): Je dirais que l'une des raisons principales, c'est la robustesse de la sécurité d'Ethereum. Lorsque vous effectuez du staking sur Ethereum (lire notre rapport sur le sujet ndlr.), vous mettez à disposition votre capital, vos ethers (ETH) en l'occurrence, pour participer à la sécurisation du réseau en échange de quoi, vous recevez des récompenses. Si vous effectuez mal votre travail, le protocole va vous sanctionner (slashing) en vous confisquant vos ethers.
L'autre point essentiel, et qui, à mon avis, a fait le succès du staking sur Ethereum, c'est que n'importe qui peut participer à cette sécurisation du réseau sans distinction et surtout à partir de n'importe quel montant.
Avec le restaking, nous voulons tout simplement optimiser la sécurité sur Ethereum en permettant à chacun de toucher des récompenses supplémentaires en mettant à disposition leurs ETH pour sécuriser d'autres blockchains.
Certaines voix sceptiques n'y voient qu'un effet de levier au staking traditionnel, pourquoi Ethereum en aurait-il besoin ?
D'une part, le staking a montré sa robustesse et son sérieux. Les événements de slashing sont extrêmement rares et les récompenses sont stables (entre 3 % et 5 %, ndlr), notamment grâce à l'émergence d'opérateurs de nœuds professionnels.
Ce que nous voulons proposer, c'est de profiter de cette sécurité robuste pour la déléguer à d'autres blockchains ou protocoles qui ne voudraient pas, dans un premier temps, avoir à gérer eux-mêmes leur sécurité. En contrepartie, les stakers toucheront des récompenses supplémentaires en participant à la sécurisation de plusieurs projets ou blockchains, au lieu d'une seule comme c'est actuellement le cas avec Ethereum.
Quels en seraient concrètement les bénéfices pour l'écosystème Ethereum ?
Il faut bien comprendre qu'élaborer un système de sécurité pour un protocole est extrêmement lourd. Nous nous définissons vraiment comme une sorte de place de marché où il serait possible pour n'importe quel projet d'y trouver des solutions de sécurité. Cela libérerait considérablement l'innovation, c'est en tout cas l'un des principaux buts que nous recherchons chez Eigen Labs.
“Les acteurs du liquid restaking ont un devoir de gestion des risques” Ne craignez-vous pas que les protocoles de restaking liquide, comme EtherFi ou Renzo, engendrent des problèmes ?
D'abord, je tiens à préciser qu'EigenLayer ne participe pas directement à l'effet de levier lié au restaking. Quand vous stakez des ethers chez EigenLayer, il y a énormément de paramètres à gérer soi-même, comme choisir quels opérateurs de nœuds confier vos ethers ou les AVS (Actively Validated Services) qui sont les protocoles à sécuriser.
Ce que proposent ces protocoles de liquid restaking, c'est d'être des sortes de portes d'entrée vers EigenLayer en simplifiant le processus. L'émergence de ces protocoles est donc bénéfique pour nous et pour le développement du restaking.
Comme vous le mentionnez, ces protocoles permettent à leurs utilisateurs de disposer d'une représentation synthétique des ethers que vous restakez chez eux pour pouvoir continuer à investir dans la finance décentralisée (DeFi) avec des possibilités d'avoir recours à des effets de levier importants. Personnellement, nous n'aimons pas cela à cause du risque important entraîné par ce genre de levier.
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Justement, êtes-vous en collaboration étroite avec ces protocoles ?
Nous voulons rester un protocole neutre en fournissant simplement une plateforme permettant la mise à disposition de sécurité pour différents projets. Ce principe est au cœur des relations que nous entretenons avec les protocoles de liquid restaking.
En revanche, tous les acteurs liés d'une manière ou d'une autre ont un devoir de responsabilité dans la gestion des risques pour pouvoir les évaluer correctement et agir en conséquence. Nous appelons donc notamment les protocoles à informer du mieux possible les utilisateurs sur les risques associés.
Prévoyez-vous un jour de lancer un protocole de liquid restaking ?
Non, ce n'est absolument pas à l'ordre du jour. Nous voulons vraiment être cette plateforme qui coordonne la sécurité pour des projets de l'écosystème.
Pour le moment, vous êtes le seul protocole à proposer ce type d'innovation. Comment expliquez-vous l'absence de concurrence ?
Je pense que c'est le lot de ceux qui portent une innovation d'être les seuls dans un premier temps. Pour le moment, il y a encore de nombreuses inconnues concernant les détails du fonctionnement du restaking et parce que ces interrogations demeurent, il est difficile pour d'autres acteurs de se lancer à partir de ce que nous avons déjà bâti. D'autant plus que notre ambition va bien au-delà du restaking.
C'est-à-dire ?
Ce que nous voulons construire, c'est une plateforme favorisant au maximum l'innovation dans l'écosystème et le restaking en est une partie. Mais nous travaillons sur d'autres projets comme Eigen Data Availability (EigenDA) qui permettrait aux blockchains d'être plus efficaces (comme Celestia, lire notre analyse , ndlr). Nous travaillons également sur d'autres projets.
Comment sont choisis les AVS qui auront recours à vos services ?
Pour le moment, cela fonctionne en quelque sorte comme un entretien d'embauche. Nous étudierons le sérieux du projet à travers les audits de smart contracts, le service que propose l'AVS ou encore les mécanismes de slashing.
“Le lancement d’un token n’est pas à l’ordre du jour” Vous avez récemment annoncé le lancement imminent de votre mainnet (réseau principal). Pouvez-vous donner plus de visibilité sur le calendrier de développement d'EigenLayer ?
Actuellement, nous fonctionnons sur le mainnet et le staking est activé. En revanche, il n'est pour le moment pas encore possible de bénéficier des récompenses auprès des AVS. Je peux également confirmer que EigenDA sera le premier AVS déployé sur le réseau principal. Globalement, le déploiement de l'ensemble de notre solution prendra du temps car nous adoptons une approche conservatrice sur le sujet.
Qu'entendez-vous par "prendre du temps" ?
En termes d'indication, je peux dire que le slashing sera opérationnel au deuxième ou au troisième trimestre de cette année.
Pouvez-vous donner plus de détails concernant l'airdrop de votre token de gouvernance ?
Nous n'avons pas l'intention de lancer un token pour le moment...
Lorsqu'un utilisateur stake ses ethers auprès de EigenLayer, il est récompensé sous forme de points EigenLayer. Que représentent ces derniers ?
Les points représentent le niveau d'activité de staking d'un utilisateur. Au fur et à mesure qu'EigenLayer évoluera vers plus de décentralisation, les points auront leur importance mais pour le moment, ils n'ont pas d'utilité particulière.
Sans token, Quand et comment comptez-vous décentraliser EigenLayer ?
Pour le moment, nous n'en sommes pas encore là. Nous publierons bientôt une feuille de route plus précise concernant notre décentralisation.
Vous avez connu une croissance très rapide. Actuellement, combien de personnes travaillent chez Eigen Labs ?
Aujourd'hui, nous sommes une cinquantaine de personnes mais ce nombre va rapidement augmenter dans les mois qui viennent.