The Big Whale : 2022 a été particulièrement compliquée pour l’industrie. Comment s’est-elle passée pour vous ?
Nicolas Louvet : Je dirais qu'elle a été plutôt mitigée parce que nous avons eu plusieurs gros temps forts au cours de l’année, notamment avec notre levée de fonds (une information révélée par The Big Whale) .
Cette opération stratégique a amené beaucoup d’énergie positive en interne au sein des équipes et nous a permis de développer de nouveaux produits, de nous projeter sur d’autres pays en Europe. Mais nous avons aussi été confrontés, comme tout le monde, à un contexte particulièrement compliqué. Nous avons démarré l’année dans des conditions de marché qui n’étaient pas celles que nous avions imaginé.
Il y a un an, nous étions encore persuadés que le cycle haussier se poursuivrait et que la baisse des marchés observée début 2022 n’était qu’un moment de stabilisation, ce qui n’a finalement pas été le cas.
Comment l’expliquer ?
Plusieurs événements sont venus perturber les marchés. Il y a d’abord eu la guerre en Ukraine avec une tension beaucoup plus forte sur les marchés à risque, et puis évidemment les chutes en cascade de Terra-Luna , Celsius et d’autres, avant celle de FTX .
Quel a été l’impact sur votre activité ?
Ces événements ont évidemment eu des conséquences sur nos chiffres à partir du printemps avec un marché beaucoup moins porteur. Nous avons réussi à amortir le choc parce qu’en plus de l’achat et de la vente de cryptos, nous faisons aussi de l’accompagnement pour les clients ce qui leur permet de mettre en place des stratégies d'investissement.
Les volumes sont revenus à quel niveau ?
Nous sommes bien au-dessus de la période pré-Covid, mais les volumes ressemblent plus à ceux constatés début 2020 que ceux de 2021 où nous avions atteint des niveaux historiques.
Donc tout ne s’est pas effondré ?
Non, bien sûr, mais le marché pourrait être beaucoup plus dynamique ! Vous savez quand vous êtes investisseur et que vous êtes au conseil d’administration d’une entreprise, vous n’avez pas envie d’avoir des résultats qui font le yoyo d’une année sur l’autre. Vous préférez évidemment que ce soit en progression constante.
Allez-vous réduire les coûts en 2023 pour vous adapter ?
Oui, nous sommes obligés de le faire, comme toutes les entreprises de la Tech. Nous n’allons pas arrêter les embauches, des gens nous rejoignent encore, mais parallèlement à cela, il va aussi y avoir des départs. Certaines équipes vont devoir s’adapter.
Où précisément ?
Cela concerne plus les équipes au contact de la clientèle et en charge de la communication grand public, tout simplement parce qu’il y a moins de clients en ce moment.
Nous avions aussi une politique de développement à l’international, en Europe, et nous allons un peu recentrer les moyens et les pays visés.
Combien êtes-vous aujourd’hui ?
En incluant les prestataires, nous sommes 90. Au pic, nous avons été 110 personnes.
FTX a été un cataclysme. L’image du secteur a beaucoup souffert. Comment éviter que toute l’industrie soit poingtée du doigt ?
Il y a beaucoup de confusion sur le sujet, de la part du grand public, des politiques, et je suis désolé de le dire, de la part, aussi, de certains médias.
De quoi parlons-nous concrètement ? D’un acteur qui a commis une fraude inédite. Oui, il y a un problème au niveau des plateformes, enfin plus précisément de certaines plateformes, mais est-ce qu’il faut pour autant condamner tout le monde ? Je ne le crois pas, et il faut simplement s’appuyer sur les acteurs sérieux.
Cette période est un stress test pour tout le monde. Les acteurs les plus fragiles sont en difficulté et il va y avoir encore de la casse.
Les Exchanges ont tenté de rassurer en proposant des “preuves de réserves”. Qu’en pensez-vous ?
La façon dont ça a été fait est une blague. Les plateformes se sont moquées des clients. On ne fait pas une preuve de réserves en montrant ce que l’on veut. Si on fait une preuve de réserves, il faut tout prendre en compte, c’est-à-dire les actifs et les dettes.
Et de votre côté ?
Nous ne sommes pas un exchange, mais un courtier. Nous n’avons pas les mêmes exigences que les exchanges dans le sens où nous ne mettons pas en relation un acheteur et un vendeur. Nous avons une relation directe avec les clients.
Êtes-vous suffisamment sûrs ?
Nous présentons toutes les garanties nécessaires : nous sommes enregistrés auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF), nous travaillons sur l’agrément, nous avons des commissaires aux comptes, une assurance…
Est-ce que vous sentez une inquiétude chez les particuliers ?
Chez certains clients, surtout ceux qui sont arrivés plus tard dans la crypto. Ils ont acheté à des niveaux élevés et donc il y a de la déception. Mais là où nous sentons le plus de défiance, c’est évidemment du côté de ceux qui sont extérieur à la crypto et n’ont jamais investi.
N’est-ce pas le principal problème pour le secteur ?
Oui, et c’est un problème qu’il va falloir résoudre rapidement parce qu’on ne peut pas négliger le grand public. Le secteur des cryptos est là pour durer. Ce qui est dommage c’est qu'avec des scandales comme FTX nous avons perdu du temps. Beaucoup de temps.
Comment Coinhouse est-il aujourd’hui utilisé ?
Nous avons deux types de clients : ceux qui n’utilisent que nous et s’appuient sur nos offres de services (conseillers, gestion pilotée…) et ceux qui ont un compte chez nous et un autre chez des concurrents.
En parlant de produits, vous avez été pris dans la chute de FTX avec vos Livrets “Crypto". Comment l’expliquez-vous ?
A posteriori on se dit évidemment qu'on aurait aimé éviter de travailler avec eux, mais on a tendance à oublier que beaucoup d’acteurs travaillaient avec Genesis et Gemini.
Vous vous êtes engagés à indemniser vos clients. Où en est l’opération ?
98% de nos clients ont été indemnisés et ont retrouvé tout ou partie de leurs fonds sur leur compte. Seuls 2% ont refusé de signer l’accord et leurs fonds sont sur leur compte, mais dans la partie “indisponible”. Ils voient leurs fonds, mais ils ne sont pas disponibles tant qu’ils sont gelés sur Genesis et les autres contreparties.
Pourquoi certains clients n’ont été que partiellement indemnisés ?
Nous avons fixé une limite à 6000 stablecoin USDT (l’équivalent de 6000 euros) pour le remboursement intégral, autrement dit 0,36 bitcoin ou 5 ethers.
Cette limite correspond au plus haut de la moyenne des investissements dans les Livrets Crypto. Tous les clients qui avaient en dessous de 6000 USDT sur leurs Livrets ont été intégralement remboursés, et au-dessus de cette limite c’est au cas par cas.
Des clients ont récupéré l’équivalent de plusieurs bitcoins parce qu’on a réussi à récupérer les fonds du côté des contreparties. En fonction de l’évolution de la situation, certains clients toucheront des versements complémentaires.
Combien de clients ont tout récupéré ?
92%.
Combien de clients étaient concernés ?
Il y avait 2560 Livrets précisément, mais certains clients avaient plusieurs livrets, donc cela concerne un peu moins de 2000 clients.
Combien vous a coûté ce geste commercial ?
Nous ne communiquons pas sur ce chiffre.
Pourquoi avoir fait signer une clause de non-divulgation ?
Il faut bien comprendre ce qu’il s’est passé : nous n’étions pas obligés d’indemniser nos clients. Nous aurions très bien pu appliquer le contrat des Livrets, mais nous avons fait le choix d’indemniser nos clients pour des questions de confiance.
Tout ce dont nous parlons là n’a rien à voir avec le Livret Crypto. C’est une proposition commerciale nouvelle qui met fin aux contrats, donc il faut l’encadrer et lui donner un début et une fin, ne serait-ce que parce qu’il ne peut pas y avoir des gens qui se réveillent dans plusieurs années.
Le geste commercial que vous avez fait ressemble beaucoup à celui de Just Mining, devenu Meria, qui a indemnisé ses clients après la chute de l’UST . Est-ce que ce n’est pas devenu obligatoire d’indemniser ses clients ?
C’est une décision qui appartient à chacun. Nous avons mis beaucoup de temps et d’argent pour construire Coinhouse. Nous avons une vision de long terme et c’est pour cette raison que nous avons décidé de faire un geste commercial. Coinhouse s’est mis en interface entre les clients et les contreparties pour gérer nous-mêmes la récupération des fonds.
Est-ce que les Livrets Crypto vont reprendre ?
Les Livrets Crypto vont reprendre, mais sous une nouvelle forme. Depuis plusieurs semaines, beaucoup de gens expliquent qu’il faudrait baser ces livrets sur la DeFi (finance décentralisée) , et pourquoi pas !
Mais il faut bien comprendre ce que cela implique, parce que pour la plupart des protocoles de DeFi vous êtes rémunérés en monnaies de ces protocoles et quand cette monnaie perd la moitié de sa valeur votre rendement disparaît, et je ne parle même pas des hacks ou des projets bidons.
Si on fait la liste, il y a peut-être deux ou trois protocoles sérieux, autrement dit nous sommes exactement dans la même situation qu’avec la CeFi (finance centralisée) où il y a seulement 2 ou 3 acteurs comme Genesis et Gemini… Le but est évidemment de ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Vous ne travaillerez plus avec des acteurs de la CeFi ?
Pas à court terme, c’est une certitude, d’autant plus que le chantier est énorme. Beaucoup d’acteurs ne sont pas au niveau. Je suis choqué que certaines plateformes, et notamment la plus importante d’entre elles ne soit pas du tout transparente.
C’est-à-dire ?
Toutes les entreprises avec lesquelles nous travaillons doivent remplir un questionnaire qui fait une vingtaine de pages. Ce questionnaire permet de connaître la société, son système, sa juridiction. Pour nous, c’est obligatoire.
Nous recevons le même genre de demandes de la part des banques en tant qu’acteur crypto. Le plus gros exchange de la planète a refusé de nous répondre. Tous les autres ont globalement joué le jeu.
Qu'allez-vous utiliser pour vos Livrets ?
Nous allons nous baser sur les rendements de protocoles, autrement dit des choses proches du staking (Kiln est l'une des sociétés spécialisées dans le secteur) . Nous avons un noeud sur Ethereum depuis longtemps. Même là-dessus ce n’est pas simple parce que ce type de produit n’existe pas sur Bitcoin , ni sur de l’USDT, donc il va falloir trouver d’autres protocoles qui allient sécurité et rentabilité.
Pensez-vous que d’autres gros projets vont tomber ?
Nous ne sommes sûrs de rien. L’année 2022 vient de montrer que personne n’est à l’abri. Celsius et FTX étaient censés être solides et ils sont tombés comme des châteaux de cartes.
Coinhouse a été beaucoup critiqué à cause des Livrets. Quelle leçon en tirez-vous ?
Qu’il faut sans doute davantage parler des risques et améliorer la communication. Nous pensions que les choses étaient claires, mais ce n’était manifestement pas le cas.
Je ne pense pas non plus qu’il faille s'auto-flageller parce que beaucoup de ceux qui font du bruit et râlent, notamment sur Twitter, ne sont pas des clients de Coinhouse ou même des gens dans la crypto. Ils profitent juste de la séquence pour se défouler sur les cryptos parce qu’ils ont vu une pub dans le métro.
Ne regrettez-vous pas justement cette publicité dans le métro où vous compariez le Livret crypto au Livret A, dont le capital est, lui, garanti ?
Honnêtement non, parce qu’elle a été validée par le service juridique de la RATP et que l’Autorité des marchés financiers (AMF) était au courant.
Je rappelle aussi qu’il était indiqué que, pour chaque placement, il y a un risque. Ce que nous mettions en avant, c’était le rendement des Livrets Crypto. On peut très bien critiquer le fait qu’il y ait une industrie autour du rendement dans les stablecoins, mais c’est un autre sujet.
Il y avait quand même une référence explicite au Livret A…
Oui, bien sûr. Le fait est que les rendements des placements traditionnels étaient très faibles il y a encore quelques mois (0,5% pour le Livret A, NDLR), mais nous n’avons jamais comparé les deux directement. Nous avons toujours dit que le capital n’était pas garanti.
Ce que nous avons comparé, ce sont les taux. Le but était d’animer le marché, d’aller chatouiller les banques, et certains comme Cogedim (immobilier) ont pris le contre-pied en se moquant de l’investissement dans les cryptos dans leurs publicités. C’est de bonne guerre !
En parlant de banque, l’établissement franco-allemand ODDO BHF a investi dans Coinhouse. À quoi vous sert ce partenariat stratégique ?
Notamment à deux choses : toucher une nouvelle clientèle, davantage issue de la finance traditionnelle, et à nous développer en Europe. Ce projet est toujours d’actualité, mais il va se faire de manière beaucoup plus fractionnée à cause du contexte économique.
Est-ce que la finance traditionnelle s’intéresse toujours aux cryptos ?
Nous voyons une demande toujours forte du côté des fonds d’investissement. Nous avons signé des partenariats avec plusieurs fonds au Luxembourg.
Que faites-vous avec ODDO BHF ?
Le but est de faciliter la distribution de produits cryptos et d’accéder à des plateformes de conseillers en gestion de patrimoine (CGP).
Nous travaillons déjà avec Nortia (plateforme qui réunit plus de 1000 CGP) sur ce sujet. Le but est de permettre aux banques d’offrir des produits cryptos à leurs clients.
Vous vous définissez depuis plusieurs mois comme une “crypto-banque”. Où en est ce projet ?
Il avance. Nous allons bientôt lancer un compte en euros qui va permettre d’offrir un large spectre de services à mi-chemin entre le monde des monnaies fiat (euro) et les cryptos.
Aujourd’hui, vous ne pouvez pas vivre uniquement dans l’univers cryptos, il est encore très limité. Notre objectif est évidemment de tendre vers du 100% crypto, mais il faut être lucide, cela va prendre du temps.
À qui va s’adresser ce compte en euros ?
Surtout aux entreprises, au moins dans un premier temps. Il va leur permettre de gérer des paiements en cryptos (paiement des clients) et aussi la gestion des portefeuilles numériques.
Beaucoup d’entreprises veulent accepter des cryptos, mais ne savent pas comment faire. Nous avons commencé à accompagner plusieurs sociétés, notamment dans le luxe, pour la gestion et le stockage de cryptomonnaies et de NFTs.
Est-ce que la carte de paiement arrive bientôt ?
Elle fait partie de cette stratégie. Là aussi, elle sera d’abord destinée aux entreprises.
Que pensez-vous du texte qui arrive à l’Assemblée nationale et qui accélère le calendrier sur l’agrément PSAN ?
Je pense que ce n’est pas une bonne réponse.
Le texte a fait énormément réagir, certains évoquant un impact potentiel sur le secteur qui ne correspond pas à la réalité ? Pourquoi ?
Effectivement il y a eu peut-être un peu d’emballement, mais cela ne doit pas nous faire oublier le contexte global. Evidemment qu’il faut mieux contrôler les acteurs. Comme on l’a vu récemment, l’enregistrement PSAN n’est pas suffisant : plusieurs PSAN ont été radiés à cause de leur gestion interne.
Le vrai sujet ce sont les moyens de l’AMF. Aujourd’hui ils ne peuvent pas traiter dans les temps les dossiers et en plus gérer le contrôle des acteurs enregistrés et demain agréés.
N’y a-t-il pas un risque pour les petits acteurs ?
Cet agrément va avoir un impact sur l’industrie et le business model des entreprises du secteur, mais, à la rigueur, tout le monde savait dès le départ qu’il faudrait cet agrément. C’est un peu comme quand vous êtes en sixième, vous savez qu’un jour il y aura le Bac. Tout le monde devra y passer.
Le problème actuellement, c’est que certains vont devoir passer directement de la sixième à la terminale, et ça c’est beaucoup plus compliqué.