David Duong (Coinbase) : “Le prix décevant d’ETH s’explique par une migration de l’activité spéculative hors d’Ethereum”

David Duong (Coinbase) : “Le prix décevant d’ETH s’explique par une migration de l’activité spéculative hors d’Ethereum”

David Duong, Head of Research chez Coinbase, analyse les dynamiques actuelles autour d’Ethereum, Bitcoin et la DeFi. Il revient sans détour sur les défis du cycle 2024-2025 et partage sa vision du futur des crypto-actifs.

Actuellement, la valeur d’Ethereum est captée par les rollups et moins par le layer 1. Pensez-vous que la feuille de route, qui donne la priorité aux L2, peut menacer le modèle économique du L1 ?

David Duong : C’est une excellente question. Ce n’est pas un sujet nouveau, cela fait déjà un certain temps que cette dynamique se met en place. Il est vrai que les L2 extraient de la valeur d’Ethereum, notamment depuis la mise en place des blobs avec Cancun, qui ont rendu les séquenceurs beaucoup plus rentables pour les L2. Toutefois, je pense que ce débat est en partie un faux problème, car il détourne l’attention de la réalité. Le développement des L2 était un pari au départ, mais il s’est révélé être un immense succès, même si la valeur économique n’a pas encore totalement suivi.

Aujourd’hui, au sein de la Fondation Ethereum, beaucoup réfléchissent activement à comment récupérer une partie de cette valeur sur le layer 1. Mais ce n’est pas simple, et surtout, je ne crois pas que ce soit la “faute” des L2. Une grande partie des fonds de l’écosystème est partie explorer d’autres layers 1 comme Solana, qui ont su capter l’attention avec des opportunités plus visibles, par exemple l’essor des memecoins.

Je pense que l’essentiel de la perte de valeur sur Ethereum s’explique davantage par une migration d’activité vers d’autres écosystèmes que par une extraction de valeur par les L2 eux-mêmes. Cela pourrait d’ailleurs changer si les actifs du monde réel (RWA) se développent de manière plus concentrée sur Ethereum.

>> Solana et les memecoins : enquête sur une dépendance toxique

Que pensez-vous de la mise à jour Pectra ? N’est-ce pas trop tôt pour augmenter la taille des blobs ?

Non, je ne pense pas que ce soit prématuré. On constate déjà une forte demande pour l’espace de stockage temporaire offert par les blobs. Aujourd’hui, en moyenne, Ethereum supporte trois blobs par bloc, avec un maximum de six. Pectra propose de faire passer ces chiffres à une moyenne de six et un maximum de neuf blobs par bloc. Étant donné l’activité qu’on observe, notamment sur les L2, il est logique d’anticiper cette croissance. Nous risquons même de saturer l’espace disponible temporairement pour les blobs.

À mon sens, Pectra est une évolution proactive pour répondre à la demande actuelle sur les L2, plutôt qu’une initiative précipitée. C’est un ajustement nécessaire pour accompagner l’essor des applications construites sur Ethereum et ses L2.

>> Pectra : Tout ce que va changer la prochaine mise à jour d’Ethereum

Une proposition circule pour instaurer une sorte de taxe sur le L1. Qu’en pensez-vous ?

Oui, j’ai vu passer cette idée, notamment défendue par la banque Standard Chartered. Selon moi, c’était avant tout un exercice de réflexion : une tentative d’explorer différentes manières de faire en sorte qu’Ethereum récupère plus de valeur captée par les L2. Mais je doute très fortement que cette proposition ait la moindre chance de se concrétiser.

Ce n’est pas une approche qui, à mes yeux, s’alignerait bien avec les fondamentaux économiques d’Ethereum. Ce type de “tarification” serait plus extractif qu’autre chose et risquerait d’affaiblir l’écosystème dans son ensemble. Il existe d’autres idées, bien meilleures, pour renforcer Ethereum sans créer des frictions inutiles entre le L1 et les L2. Personnellement, ce n’est pas une solution que je soutiendrais.

>> Des taxes douanières pour renforcer le business model d'Ethereum ?

“Les entrées des ETF ETH sont comparables à ce qu’avait réalisé le SPDR Gold ETF en 2004, un lancement considéré comme extrêmement réussi”

Pourquoi, selon vous, le prix d’ETH est-il si bas et pourquoi le projet déçoit-il pendant ce cycle ?

L’une des principales explications tient à l’évolution des dynamiques de marché cette année. La majorité de la création de richesse s’est produite autour des memecoins, avec une séparation nette entre les institutionnels — qui restent focalisés sur les “blue chips” comme Bitcoin — et les particuliers, qui eux, se sont aventurés plus loin dans l’univers spéculatif des altcoins.

Beaucoup de projets concentrés sur Ethereum, qui proposaient des mécanismes comme les points, ont été perçus comme innovants au départ, mais au final, ont contribué à éroder la valeur d’Ethereum en poussant les utilisateurs à chercher d’autres opportunités de liquidité.

Toutefois, il est important de noter que la DeFi, elle, reste solidement ancrée sur Ethereum. Ces dernières semaines, on observe même un retour d’activité sur des protocoles comme Aave, notamment en raison de l’évolution des taux d’intérêt et du contexte macroéconomique. En résumé, ce n’est pas un problème simple de captation de valeur par les L2, mais une migration de l’activité spéculative hors d’Ethereum, alors que son écosystème de finance décentralisée reste fort.

>> Ethereum (ETH) : Qu'est-ce qui attend le protocole et son token ?

Et concernant les faibles flux dans les ETF Ethereum ?

Je nuancerais cette perception. Il est vrai que, comparés aux ETF Bitcoin, les flux vers les ETF Ethereum peuvent sembler modestes. Mais si l’on prend du recul, ce sont des résultats tout à fait honorables. Depuis leur lancement en juillet dernier, les ETF ETH ont attiré près de 3,9 milliards de dollars d’entrées nettes. Cela est comparable à ce qu’avait réalisé le SPDR Gold ETF en 2004, un lancement considéré comme extrêmement réussi.

Bien sûr, à côté des 40 milliards captés par les ETF Bitcoin, cela paraît faible, mais c’était attendu : Ethereum n’a jamais été censé rivaliser à parité avec Bitcoin. Si vos attentes tablaient sur 25 à 30 % de la performance des ETF Bitcoin, vous avez été déçu. Mais objectivement, les flux sont solides et montrent que la demande institutionnelle pour Ethereum existe bel et bien.

>> ETF Ethereum autorisés à Wall Street : quelles conséquences pour l’ether ?

Je dis parfois qu’Ethereum pourrait devenir le “Linux de la blockchain”, un système pour romantiques, car le projet n’est pas assez opportuniste, contrairement à Solana. Qu’en pensez-vous ?

C’est une comparaison très pertinente. Ethereum est une blockchain très dynamique, mais son approche est fondamentalement différente de celle de Solana. Là où Solana pousse rapidement des évolutions et tente des innovations visibles, Ethereum adopte une démarche plus académique, plus rigoureuse. Ce que j’admire dans la communauté Ethereum, c’est qu’elle s’attaque à des sujets complexes, comme l’impact de l’informatique quantique, auxquels peu d’autres blockchains réfléchissent sérieusement.

Des chercheurs comme Justin Drake ou Dankrad Feist travaillent sur la pérennité d’Ethereum sur plusieurs décennies. Pectra, en mettant l’accent sur l’abstraction de compte, devrait d’ailleurs grandement améliorer l’expérience utilisateur. Ethereum reste donc une plateforme avec énormément de potentiel, même si son rythme de développement peut parfois sembler plus lent.

Personne ne représentait vraiment Ethereum au sommet crypto de la Maison Blanche. N’est-ce pas un signe de perte d’influence ?

Je ne le crois pas. Le futur des blockchains sera, selon moi, multi-chaines. Il n’y aura pas un seul gagnant qui écrasera toutes les autres plateformes. Ethereum reste fondamentalement pertinent, mais il évolue aujourd’hui dans un paysage plus complexe avec de nombreux autres L1 et L2. De plus, dans la tokenisation des actifs, les grandes institutions cherchent désormais à déployer leurs solutions sur plusieurs blockchains pour limiter le risque de fragmentation de la liquidité. Le fait qu’Ethereum ne soit pas omniprésent lors de certains événements politiques ne signifie pas qu’il perd son importance stratégique.

Pensez-vous que la Fondation Ethereum devrait être plus agressive, par exemple en distribuant plus d’argent aux projets ?

Il y a toujours place à amélioration, mais la Fondation a déjà largement soutenu de nombreux projets. Certes, elle souffre d’un déficit en marketing : personne ne “vend” Ethereum de manière proactive. Beaucoup de projets soutenus par la Fondation travaillent en coulisses. Pourtant, dans un monde aussi concurrentiel, il serait utile qu’Ethereum valorise mieux ses initiatives.

Côté financement, la Fondation a déjà investi dans de nombreux projets d’infrastructure et dans la recherche. J’aimerais voir plus de financements dirigés vers des cas d’usages réels, orientés utilisateurs, et je pense que c’est une tendance qui commence à se développer.

>> Jérôme de Tychey : “Mes propositions pour la fondation Ethereum”

Est-ce qu’Ethereum aurait besoin d’une entreprise à la MicroStrategy pour accumuler des ETH ?

C’est une comparaison intéressante, mais je pense que la dynamique est différente. Pour Bitcoin, MicroStrategy a clairement servi de catalyseur en absorbant une partie significative de l’offre disponible, ce qui a soutenu la hausse du prix. Mais Ethereum n’est pas qu’un actif de réserve de valeur : c’est avant tout une plateforme de smart contracts. Le rôle d’Ethereum dans l’écosystème est beaucoup plus fonctionnel que celui de Bitcoin, qui s’est positionné comme “l’or numérique”.

De nombreuses blockchains cherchent aujourd’hui à concurrencer Ethereum en se spécialisant, par exemple avec Solana pour la rapidité ou Sui pour le parallélisme avec Move. Cette concurrence rend la dynamique de valorisation différente. Dès lors, la question n’est pas tant d’avoir une entreprise accumulant massivement des ETH que de continuer à développer des cas d’usages concrets et attractifs sur Ethereum.

>> Rapport - Bitcoin Treasury Companies : au coeur d’un modèle d’entreprise unique au monde

“Plus Bitcoin est perçu comme un actif précieux, moins les gens auront envie de s’en servir pour payer”

On entend de plus en plus dire que Bitcoin devient un actif de réserve de valeur. N’est-ce pas dangereux pour le projet si la perception qu’il est avant tout un moyen de paiement disparaît ?

C’est une excellente question, très profonde. Dans l’histoire économique, il est extrêmement rare qu’un même actif parvienne à être à la fois un moyen d’échange quotidien et une réserve de valeur. Gresham, avec sa fameuse “loi”, avait déjà théorisé que la “mauvaise” monnaie chasse la “bonne”, car personne ne veut dépenser un actif dont la valeur perçue est forte et croissante. Bitcoin n’échappe pas à cette règle psychologique : plus il est perçu comme un actif précieux, moins les gens auront envie de s’en servir pour payer des biens ou des services courants.

Cela dit, je ne pense pas que devenir une réserve de valeur nuise au futur de Bitcoin. Au contraire, cela pourrait le positionner encore plus fermement dans les portefeuilles d’investissement globaux, à l’image de l’or, avec l’avantage d’une émission limitée, programmée et d’une résistance aux manipulations humaines — ce qui le différencie radicalement des métaux précieux.

>> Les grands challenges qui attendent Bitcoin

La perception du Bitcoin évolue-t-elle aux États-Unis ?

Clairement, oui. L’adoption de Bitcoin a progressé de façon marquée ces derniers mois, notamment grâce aux ETFs spot qui ont élargi l’accès des investisseurs institutionnels. Bitcoin commence à être reconnu comme un actif macroéconomique sérieux, qui peut apporter de la diversification à un portefeuille, au même titre que d’autres classes d’actifs. Beaucoup d’investisseurs commencent à comprendre que Bitcoin ne se limite pas à un simple pari technologique ; il peut également jouer un rôle stratégique dans une allocation d’actifs, notamment dans un contexte où les marchés traditionnels sont marqués par une forte incertitude.

On a beaucoup parlé d’airdrops récemment. Pour vous, qu’est-ce qu’un bon airdrop ?

Honnêtement, je ne me considère pas comme la personne la mieux placée pour donner des conseils sur les airdrops, n’ayant moi-même pas énormément bénéficié de cette mécanique. Cela dit, l’industrie commence à prendre conscience du problème de surabondance des tokens. La création massive de jetons, parfois via des outils comme Pump.fun, a saturé le marché et dilué la valeur perçue des nouveaux projets.

Aujourd’hui, avec le changement d’environnement réglementaire et la pression accrue sur les fondamentaux, nous voyons un pivot vers une approche plus rigoureuse : les équipes réfléchissent davantage aux revenus, à la création de valeur réelle, et à l’impact à long terme d’un airdrop sur leur tokenomics. À mon avis, dans les deux prochaines années, la perception des airdrops va encore évoluer fortement.

>> Le business caché des airdrops : entre mirage et réalité

Est-ce que ce n’est pas un peu dommage de voir Bitcoin échouer dans les pays où il serait le plus utile, comme en Argentine où ce sont les stablecoins qui dominent ?

Je comprends ce sentiment. Lorsque Bitcoin a été créé, l’espoir était qu’il puisse devenir un actif refuge pour les populations vivant sous des régimes économiques instables. Mais dans des pays comme l’Argentine, le dollar reste encore aujourd’hui la valeur refuge par excellence, en raison de son rôle historique. Cela explique le succès des stablecoins adossés au dollar. Cependant, à plus long terme, je pense que la proposition de valeur de Bitcoin en tant qu’actif supranational, qui échappe aux contrôles étatiques, va devenir de plus en plus pertinente.

Alors que les tensions géopolitiques et les déséquilibres commerciaux s’accentuent, l’idée d’une monnaie numérique mondiale, décentralisée et sans frontière va inévitablement gagner du terrain. Ce n’est pas encore le cas, mais je pense que nous allons vers un monde où Bitcoin ou une autre crypto joueront ce rôle à grande échelle.

“Certains projets préfèrent ne pas émettre de token du tout et garder la valeur captée “in house””

En dehors des États-Unis, quel est le pays le plus dynamique pour Coinbase ?

C’est difficile à dire avec précision, car nous ne communiquons pas de données spécifiques sur la croissance par pays. Mais si l’on se base sur les études comme celles de Chainalysis, qui analyse l’adoption géographique, on voit que les États-Unis restent l’un des plus gros marchés.

En Europe, la situation est également très dynamique : en France, par exemple, plus de 9 % (10 % selon l’Adan, ndlr) de la population détient des cryptos, ce qui est très significatif. Avec les lancements d’ETF et l’évolution du cadre réglementaire, l’adoption est en forte croissance un peu partout. Je m’attends à ce que l’adoption continue de progresser sur tous les continents dans les années qui viennent.

Avec la pression réglementaire qui diminue, beaucoup de projets DeFi envisagent d’activer leur “fee switch”. Est-ce une bonne idée selon vous ?

Cela dépendra énormément des projets eux-mêmes. Pendant longtemps, il était quasiment implicite qu’un projet DeFi devait lancer son propre token, souvent sans activer de revenus directs pour éviter toute confusion réglementaire. Aujourd’hui, ce paradigme change. Certains projets préfèrent ne pas émettre de token du tout et garder la valeur captée “in house”.

Activer le “fee switch” — c’est-à-dire partager une partie des revenus avec les détenteurs du token — pourrait être une stratégie judicieuse pour des protocoles établis comme Uniswap. Mais ce n’est pas une solution universelle. Chaque projet devra évaluer soigneusement ce que cela implique en termes de gouvernance, de fiscalité, et de perception par les utilisateurs.

>> Fee Switch dans la DeFi : Entre révolution économique et mirage marketing

En tant que représentant d’un exchange centralisé majeur, avez-vous un avis sur Hyperliquid qui fait beaucoup parler parmi les exchanges décentralisés ?

Pour être totalement transparent, nous ne listons pas Hyperliquid sur notre plateforme, donc je suis limité dans ce que je peux en dire. Cela dit, en tant qu’observateur du marché, je peux dire qu’Hyperliquid a été extrêmement actif. Il a capté une part importante du volume, en particulier dans la catégorie des échanges décentralisés. Certes, l’enthousiasme global autour des DEX a un peu reflué récemment — passant de près de 20 % de part de marché à environ 15-17 % — mais Hyperliquid reste un projet très solide et très intéressant à suivre. C’est un très bon exemple de la vitalité du secteur.

Cet article est réservé aux abonnés insiders.
Les meilleurs news et analyses cryptos. Chaque semaine. 100% indépendant.
Devenir insider
Tout ce qui compte dans la crypto.
Les meilleurs news et analyses cryptos. Chaque semaine. 100% indépendant.
S'abonner
Tokens dans cet article
Projets dans cet article
No items found.

Autres contenus Technologie