Stripe, un des plus grands opérateurs de paiement au monde, a acquis pour 1,1 milliard de dollars Bridge, une start-up ayant développé une plateforme facilitant le paiement en stablecoins. Qu’en pensez-vous ?
Varun Paul : L’intérêt de Stripe pour les stablecoins valide réellement l’impact de cette technologie à une plus grande échelle. Premièrement, cela montre qu’ils considèrent les stablecoins comme un élément essentiel du futur des paiements.
La valorisation élevée souligne également leur conviction quant à son potentiel pour leur modèle économique. Nous avons vu les stablecoins devenir une pierre angulaire des transactions transfrontalières, permettant des transferts de valeur sécurisés et efficaces sans volatilité de change.
Chez Fireblocks, nous misons énormément sur cette technologie. Plus de la moitié de notre volume de transactions provient des stablecoins. Cette tendance illustre l’intérêt des utilisateurs pour les stablecoins, à la fois comme pont pour les transactions crypto et de plus en plus comme outil de paiement direct.
Et aujourd’hui, où en est l’adoption auprès des institutions traditionnelles ?
Nous n’en sommes qu’au début. La montée en puissance des stablecoins pour les paiements et comme actif de référence dans les transactions crypto indique une courbe d’adoption plus large. Les institutions sont de plus en plus intéressées à utiliser les actifs numériques au-delà du trading, que ce soit pour des programmes de fidélité, des paiements ou d’autres cas d’usage.
Ce que nous voyons actuellement, c'est que les innovations issues du monde crypto commencent à s'intégrer dans la finance traditionnelle. Les stablecoins, en particulier, représentent le premier véritable « cas d’usage phare ».
Pourquoi les stablecoins en particulier, et non d'autres types d'actifs crypto pour le moment ?
À la Banque d'Angleterre, en tant que régulateur, nous avions des préoccupations liées à la volatilité des cryptomonnaies ; elles ne répondaient tout simplement pas aux exigences de stabilité des systèmes de paiement traditionnels.
Les stablecoins, en revanche, maintiennent une valeur stable, ce qui les rend beaucoup plus viables pour les paiements et les transferts, sans les risques liés à la volatilité.
Leur impact est particulièrement fort dans les zones où le système bancaire traditionnel est limité, notamment pour les paiements transfrontaliers. Par exemple, les transferts internationaux coûtent environ 6 % en frais via des services comme Western Union ou MoneyGram. Les stablecoins permettent de réaliser ces transferts de manière beaucoup plus abordable et rapide.
Pour les entreprises, la rapidité des transactions en stablecoins — quelques minutes au lieu de plusieurs jours via le système bancaire traditionnel — est un avantage énorme. L’avantage de liquidité de ces transferts rapides de bout en bout est révolutionnaire.
Les stablecoins sont aussi attractifs parce qu'ils donnent aux banques un rôle important dans l'écosystème numérique. Les banques voient la croissance des stablecoins comme l’USDT et l’USDC et y reconnaissent une opportunité de revenus, car même si les stablecoins ne paient pas d’intérêts, leurs actifs de soutien le font souvent.
Enfin, ils seront indispensables pour échanger des actifs tokenisés. Fireblocks travaille activement avec de grandes banques dans le monde entier pour soutenir l'émission de stablecoins. Par exemple, nous avons récemment annoncé notre collaboration avec Bank Colombia en Amérique latine pour un projet de stablecoin.
Justement, où se place Fireblocks dans le processus de transaction des stablecoins ?
Nous aidons les institutions financières à émettre, gérer et développer des stablecoins, comme l’USDC ou l’EURC, les deux stablecoins de Circle, de manière sécurisée. Le but est de créer un pont sécurisé entre le monde financier traditionnel et numérique.
La sécurité a longtemps été un obstacle pour les institutions traditionnelles. Fireblocks apporte une technologie avancée, comme la computation multipartite et des couches cryptographiques profondes, offrant ainsi aux institutions un moyen sécurisé de détenir des actifs numériques.
Par le passé, la vulnérabilité aux piratages constituait un frein majeur. Avec des solutions comme la nôtre, ces institutions peuvent enfin s'engager dans l'espace crypto sans ces risques. Au cours des dernières années, la demande pour des solutions d'actifs numériques sécurisées n'a fait que croître.
La réglementation joue également un rôle très important dans cette adoption…
Elle est cruciale. MiCA en Europe ouvre la voie en définissant les stablecoins comme des jetons de paiement plutôt que des actifs spéculatifs. Cela signifie qu’ils sont censés maintenir une valeur stable, être remboursables à leur valeur nominale et ne pas générer d’intérêts.
S'ils devaient générer des intérêts, ils seraient davantage considérés comme des dépôts, relevant alors de la régulation bancaire. En conséquence, les stablecoins sont reconnus dans ces juridictions réglementées comme des actifs sans rendement spécifiquement destinés aux paiements, alignés sur leur rôle de jetons stables et transactionnels plutôt que spéculatifs.
Justement, pensez-vous que cette stricte séparation réglementaire entre les actifs générant des rendements, comme les fonds, et les actifs de type monétaire comme les stablecoins ou la monnaie électronique, va perdurer ?
C’est une bonne question. Les régulateurs veulent maintenir cette séparation parce que les systèmes financiers traditionnels ont été conçus avec des rôles bien distincts pour les banques.
Les banques ne se contentent pas de détenir des fonds ; elles stimulent la croissance économique en transformant les dépôts en crédit à travers le prêt. Sans ce prêt, il n’y aurait pas de création de crédit pour alimenter de nombreux secteurs de l’économie.
Ce système est rigoureusement encadré pour éviter au maximum que les banques fassent faillite. Si vous proposez des intérêts, vous fonctionnez essentiellement comme une banque, ce qui implique une réglementation bancaire.
Mais les fonds monétaires tokenisés qui offrent du rendement n’effacent-ils pas cette distinction ?
Les fonds monétaires sont effectivement des actifs de marché de capitaux, et bien qu’ils comportent des risques, ils sont présents sur les marchés de wholesale depuis des années.
S’ils deviennent accessibles aux particuliers via la blockchain, ils doivent être gérés méticuleusement pour garantir leur stabilité et éviter les risques excessifs.
Historiquement, certains fonds ont perdu leur parité en raison d’une mauvaise gestion des risques.
La blockchain peut certainement rendre ces fonds plus accessibles et efficaces, mais la réglementation reste claire : les stablecoins sont destinés aux paiements, soutenus par des actifs stables et remboursables à parité, tandis que les actifs à rendement comme les dépôts tokenisés ou les fonds monétaires appartiennent à une autre catégorie avec leurs propres normes réglementaires.
Même si l’adoption s’accélère, nous voyons encore beaucoup d’expérimentations se dérouler sur blockchain privée. Les blockchains publiques vont-elles finalement l’emporter ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que les réglementations bancaires actuelles tendent à favoriser les blockchains privées, en raison des préoccupations liées à la gouvernance et à la sécurité sur les blockchains publiques. Cependant, c’est une vision dépassée.
Un moment décisif est survenu lorsque BlackRock a émis un fonds monétaire sur Ethereum en mars, une blockchain publique. Cela crée un précédent qui pourrait amener les régulateurs à reconsidérer leur position sur ces dernières.
Les blockchains privées offrent certains avantages, mais elles ne permettent pas de tirer pleinement parti de la décentralisation. Pour exploiter réellement les avantages de la blockchain, il faut un écosystème unifié où la liquidité n'est pas fragmentée à travers plusieurs réseaux isolés.
Des initiatives comme Chainlink et Layer Zero font de grands progrès vers l’interopérabilité, permettant aux différentes blockchains de se connecter et de partager la liquidité. Ce développement est crucial pour les grandes institutions, et je m’attends à en voir davantage l’année prochaine.
Vous êtes présents un peu partout dans le monde. Quelles régions sont les plus dynamiques en termes d’adoption ?
L’Amérique latine, en particulier le Brésil, se distingue par son ouverture réglementaire, ce qui permet une adoption à la fois par les particuliers et les institutions. Les Émirats arabes unis avancent également rapidement.
En Asie-Pacifique, la Corée du Sud et le Japon sont des leaders émergents, et certaines banques australiennes émettent déjà des stablecoins.
Au cours de l’année prochaine, je m’attends à ce que ces régions voient une croissance encore plus grande à mesure que leurs environnements réglementaires mûrissent.
Aujourd’hui, de plus en plus d’acteurs cherchent à lancer leur wallet. En quoi allez-vous vous distinguer de la concurrence sur le long terme ?
Le paysage des wallets devient de plus en plus concurrentiel, c’est vrai. Et certains, comme Gnosis avec Safe , tentent de devenir des sortes de Fintechs sur blockchain.
D’abord, je pense qu’il est utile de rappeler que Fireblocks est plutôt un fournisseur de technologie qu’un simple wallet.
Aujourd’hui, à travers notre plateforme ouverte, nous proposons de la conservation des cryptos, mais aussi une plateforme permettant de supporter des actifs numériques, du paiement, de la tokenisation via nos propres smart contracts et ceux de nos partenaires, de la conformité AML (Anti-Money Laundering) et KYT (Know Your Transaction), ainsi que l’accès à des applications Web3.
Notre vision est de permettre à toute entreprise d’interagir avec les actifs numériques de manière fluide et sécurisée, avec un fondement reposant sur la cybersécurité. Depuis notre lancement, nous avons adopté une approche "sécurité d'abord", ce qui nous différencie des autres.
Par exemple, l'an dernier, nous avons publié un document intitulé Bitforge , qui met en lumière les vulnérabilités de la computation multipartite, une technologie cruciale dans le domaine des actifs numériques, tout en élevant les normes de sécurité de l'industrie.
En dépit de la multiplication des wallets, un défi majeur persiste à mon sens : comment sécuriser ces actifs numériques contre les piratages ? Malheureusement, nous entendons encore parler d'incidents où des actifs sont volés en raison d'une technologie ou de processus inadéquats.
Il est donc essentiel que l'industrie élève ses normes de sécurité, et je pense que nous verrons des améliorations, voire une consolidation dans les prochaines années, possiblement induite par la réglementation.
Lire notre rapport - Le futur des wallets
Vous avez également mentionné être une "plateforme ouverte". Pouvez-vous expliquer ce que cela signifie ?
Pour clarifier — il ne s’agit pas d’une plateforme ouverte et sans permission comme Uniswap. Fireblocks est une plateforme SaaS (Software-as-a-Service) où les clients s'abonnent sur laquelle nos services, accédant non seulement à nos produits, mais aussi à notre écosystème de partenaires.
Par exemple, pour la tokenisation, nous prenons en charge non seulement les smart contracts de Fireblocks, mais aussi ceux de partenaires, offrant ainsi flexibilité et choix à nos utilisateurs.
C’est un modèle collaboratif. Il nous permet de croître aux côtés de l’écosystème des actifs numériques en travaillant avec certaines des meilleures entreprises qui stimulent l'adoption des actifs numériques et la tokenisation.
Vous êtes donc davantage dans une logique d’écosystème ?
Exactement. Nous voulons être le point d’entrée pour toute entreprise, qu’il s’agisse d’une startup ou d’une grande institution comme Revolut ou BNY Mellon, avec qui nous travaillons.
Notre plateforme ouverte et tout-en-un permet aux utilisateurs d'interagir avec tout type d'usage d'actifs numériques en un seul endroit.
Mais pour revenir à la question précédente, de nombreux acteurs comme Gnosis avec Safe ou Etherfi ont des solutions de wallet ou sont en train d’en développer une.
Au-delà de la sécurité, comment voyez-vous évoluer les wallets ?
Leur développement est extrêmement intéressant. Encore aujourd’hui, les utiliser demeure très complexe pour les nouveaux arrivants dans la crypto, un peu comme internet à ses débuts.
Mais à mesure que les cas d’usage se développent et que le marché mûrit, nous verrons une simplification.
J’imagine un futur où tous les modes de paiement — numériques et traditionnels — seront intégrés de manière fluide dans un seul portefeuille, permettant des transitions sans heurts entre cartes de crédit, cartes de débit et portefeuilles numériques, sans que les utilisateurs ne remarquent la différence.
Cela signifie que les portefeuilles pourraient un jour accueillir divers types de « monnaies », comme les stablecoins, les CBDC ou les dépôts tokenisés ?
Absolument. Nous utilisons déjà aujourd'hui divers types de monnaie, et je m'attends à ce que cela continue. Les monnaies numériques de banque centrale (CBDC), les stablecoins, les cryptos et les dépôts tokenisés coexisteront probablement, chacun servant des objectifs uniques.
L’enjeu sera d’intégrer ces différentes formes dans un seul portefeuille, pour que les utilisateurs puissent y accéder et les utiliser de manière intuitive.
Vous avez mentionné une vision Web3 où les utilisateurs contrôlent eux-mêmes leurs actifs. Pourriez-vous développer ce concept ?
Nous développons ce que nous appelons un « modèle de conservation directe » ou « portefeuille intégré ».
Dans ce modèle, l’utilisateur a un contrôle direct sur sa clé privée, contrairement à aujourd’hui où les institutions gèrent souvent la conservation au nom de l’utilisateur.
Ce modèle responsabilise les utilisateurs sans leur imposer toute la charge de la sécurité.
Globalement, notre modèle repose sur un « triangle de confiance » impliquant trois parties : le fournisseur technologique (Fireblocks), le fournisseur de portefeuille et l’utilisateur.
Si un utilisateur oublie son mot de passe, il peut le récupérer via le fournisseur de portefeuille, de la même manière que les solutions Web2 actuelles.
Si le fournisseur de portefeuille rencontre des problèmes opérationnels, l’utilisateur peut récupérer sa clé privée via Fireblocks et passer à un autre fournisseur de portefeuille.
Cette configuration est robuste : l’utilisateur garde le contrôle direct de ses fonds en tout temps, sans exposition financière au fournisseur de portefeuille ou au fournisseur technologique.
De plus, comme l’actif est émis par une tierce partie — par exemple un émetteur de stablecoin ou une banque centrale — l’utilisateur conserve la propriété de manière indépendante. C’est une solution puissante et résiliente, et nous commençons seulement à explorer tout son potentiel pour l'avenir.
Pensez-vous qu’avec des solutions comme la vôtre, la self-custody peut devenir la norme ?
C’est une excellente question. Il y a très probablement plusieurs types de fournisseurs, chacun offrant des services spécifiques.
Tout comme nous avions autrefois des comptes bancaires distincts et des coffres pour différents besoins, je pense que nous nous appuierons sur différentes entités pour divers aspects de la garde d'actifs.
Mais ce qui devrait évoluer, et où je vois une convergence, c'est dans l'interface utilisateur — une interface simple et rationalisée pouvant s’intégrer à différentes solutions.
Ce concept n’est pas nouveau ; nous l'avons vu avec les agrégateurs de paiements qui regroupent des comptes bancaires, des cartes de crédit et d'autres outils financiers en une seule interface.
J’imagine un futur où, que ce soit par une application mobile ou un modèle de self-custody, il existe une porte d'entrée accessible permettant aux utilisateurs de tout gérer, en masquant la complexité.
Et où en est-on de la sécurité des wallets sur les smartphones ? Encore aujourd’hui, de nombreux experts déconseillent d’utiliser un wallet via son téléphone…
De manière intéressante, une partie clé de notre technologie utilise l’enclave sécurisée des smartphones, la même zone sécurisée qui gère Face ID, par exemple.
Cette enclave sécurisée permet de gérer des actifs numériques avec un très haut degré de sécurité. Cette technologie est même utilisée par de grandes institutions financières dans nos couches de sécurité.
Les utilisateurs peuvent ainsi gérer des actifs sur leurs téléphones de manière très sécurisée, complétée par la biométrie, ce qui offre une protection supplémentaire. Donc, je dirais que le téléphone mobile est en effet une pièce essentielle de la solution de sécurité pour une adoption plus large.
À ce propos, quand envisagez-vous une adoption de masse — où il deviendrait normal de payer avec des stablecoins ou d'acheter des cryptomonnaies via une banque traditionnelle par exemple ?
Je dirais d’ici cinq ans. D’ici la fin de cette décennie, nous verrons probablement des institutions financières majeures offrir ces services et une adoption plus large parmi les utilisateurs individuels, ce qui poussera les banques centrales et les régulateurs à devenir plus à l’aise avec les actifs numériques.
Cela favorisera la tokenisation encore plus avancée des actifs financiers et même les monnaies numériques des banques centrales, qui seront progressivement intégrées sur la blockchain.
À part la tokenisation financière, pensez-vous que d'autres facteurs pourraient accélérer cette adoption ?
Oui. L'IA (Intelligence artificielle) est un facteur majeur. Au cours des deux dernières années, l'adoption de l'IA a progressé bien plus vite que prévu, conduisant à l'émergence d'agents IA et de bots qui optimisent divers aspects de nos vies, y compris la gestion financière.
Ces systèmes d’IA nécessiteront des interactions de paiement bien plus sophistiquées que ce que les systèmes actuels peuvent gérer, mais la technologie blockchain — avec sa capacité à traiter des messages complexes, des actifs programmables et des contrats intelligents — est bien adaptée pour ce niveau d'interaction.
Donc, je pense que l'adoption de l'IA va indirectement stimuler l’adoption des actifs numériques et de la technologie blockchain.
Aujourd’hui, combien de clients comptez-vous ?
Fireblocks compte actuellement plus de 2000 clients institutionnels sur sa plateforme, que nous avons développée au cours des cinq à six dernières années.
En termes d'actifs, nous avons sécurisé plus de six mille milliards de dollars en transactions d'actifs numériques. Pour mettre cela en perspective, cela représente environ deux à deux fois et demie la capitalisation totale du marché des cryptomonnaies, ce qui est un chiffre dont nous sommes fiers.
Notre base de clients a augmenté d'environ 40-50 % cette année seulement, et les volumes de transactions sur le réseau Fireblocks ont bondi d'environ 80 % au cours des 12 derniers mois.
Nous voyons de la croissance non seulement avec les clients existants, mais aussi avec de nouvelles marques qui se tournent vers Fireblocks pour se lancer dans les actifs numériques.
Fireblocks est connu pour utiliser la technologie MPC (Multi-Party Computation). Pensez-vous que c’est la meilleure technologie disponible, ou explorez-vous d'autres options pour l'avenir ?
Nous pensons que la MPC est en effet une technologie très robuste qui a fait ses preuves par les vastes montants de transactions que nous avons déjà gérés ainsi que les clients que nous avons aujourd’hui. Mais évidemment, elle peut largement être améliorée. Nous allons annoncer pas mal de choses dans les mois qui viennent.
Peut-on en savoir plus ?
Pour le moment, nous ne pouvons pas en parler publiquement.
Cela pourrait être ma dernière question. En Europe, il y a actuellement un débat important sur le fait de classer les portefeuilles, les fournisseurs de technologie et les prestataires de services sous la même réglementation que des custodians. Comment Fireblocks se positionne-t-il par rapport à cela ?
Personnellement, je ne pense pas qu'il soit sage de faire des paris avec la réglementation. À mon avis, il est essentiel de travailler en étroite collaboration avec les régulateurs, car ce sont eux qui fixent les règles.
En fonction de tout ce que nous avons construit jusqu'à présent, Fireblocks est un fournisseur de technologie, pas un custodian à proprement parler. Nous avons mis en place des protections spécifiques qui soutiennent cette classification.
Fondamentalement, comme je l’ai mentionné, nos clients sont toujours en contrôle de leurs actifs – ils en sont les propriétaires dans tous les cas. Certaines solutions concurrentes prennent possession des actifs ou assument certaines responsabilités, ce qui pourrait amener les régulateurs à les classer comme custodian.
Donc, vous êtes sûr que Fireblocks ne sera pas requalifié en custodian ?
Exactement. Nous nous considérons comme un fournisseur de technologie, ce qui est plus aligné avec la façon dont les régulateurs perçoivent les fournisseurs de cloud, par exemple.
Nous sommes considérés davantage comme un prestataire de services opérationnels pour ces institutions plutôt que comme une entité de risque financier, donc nous ne sommes pas considérés comme des dépositaires en vertu de ces réglementations.
Cela signifie donc que certaines réglementations en Europe comme DORA (sur la résilience opérationnelle numérique) ne sont pas requises pour Fireblocks ?
Nous sommes activement engagés auprès des régulateurs dans ce domaine, et nous anticipons que DORA aura un impact indirect sur nous.
Cependant, nous opérons déjà selon des normes élevées, donc ce n'est pas une préoccupation. Notre objectif est de nous assurer que toute institution financière utilisant notre technologie est pleinement conforme et que nous répondons à toutes les attentes réglementaires.
Si les régulateurs souhaitent davantage d’engagement, nous sommes là pour collaborer étroitement et garantir que chacun respecte les normes les plus élevées.
Aujourd’hui, il est quasiment sûr que la Banque centrale européenne lancera une monnaie numérique (MNBC) de banque centrale pour les particuliers. Croyez-vous en sa viabilité ?
Je crois effectivement qu’il y aura des MNBC de détail. Laissez-moi expliquer pourquoi.
En commençant par les MNBC de gros, comme vous l'avez mentionné, elles sont assez pratiques — elles pourraient rendre les transactions interbancaires plus rapides, moins chères et plus fluides en offrant une méthode de règlement à moindre risque.
Le point crucial ici est de savoir qui émet la monnaie et le niveau de risque impliqué. À l’échelle mondiale, les banques centrales ou les gouvernements sont généralement perçus comme des émetteurs à moindre risque, car ils sont soutenus par l'État, qui peut imprimer sa propre monnaie.
En revanche, les émetteurs de stablecoins ou les banques sont des entités privées, chacune avec ses propres risques de crédit et opérationnels.
Si une banque connaît des difficultés financières ou qu'un émetteur de stablecoin gère mal les actifs, la valeur pourrait fluctuer. Ainsi, la monnaie des banques centrales est considérée comme l'actif à risque le plus faible dans toute économie.
Pensez-vous qu’à terme, les MNBC de détail pourraient remplacer les stablecoins ?
Non, je ne pense pas. Au contraire, je la vois comme une pièce d'un écosystème diversifié. Les stablecoins font actuellement un excellent travail, stimulant l'innovation et permettant des fonctionnalités comme les transactions transfrontalières et l'accessibilité dans des régions reculées.
Les dépôts tokenisés joueront également un rôle, offrant différents profils de risque. Tout comme nous avons aujourd'hui divers moyens de paiement — cartes de débit, billets de banque, virements numériques — je pense que les utilisateurs voudront toujours des options pour différents besoins.
Souvenez-vous de 2019, quand Facebook a annoncé Libra – il y avait une inquiétude qu’il puisse dominer le système du jour au lendemain, avec des milliards d’utilisateurs sur un seul réseau.
Cela aurait signifié un contrôle énorme entre les mains d'une entité privée, ce qui, bien qu’innovant, soulève des préoccupations quant à l'utilisation des données et à la vie privée.
Les entreprises privées stimulent une innovation fantastique, mais il y a aussi un rôle pour la monnaie soutenue par l'État, pour fournir équilibre et choix.
Comment voyez-vous une MNBC de détail fonctionner dans l’écosystème numérique ?
La clé, c’est la compatibilité. Une MNBC de détail devrait fonctionner aux côtés d'autres actifs numériques. Par exemple, elle devrait être stockable dans le même portefeuille où les utilisateurs détiennent des NFT, des billets ou des stablecoins. C'est essentiel pour l’adoption à long terme. En Europe, il y a une certaine divergence par rapport à cette vision, mais si les banques centrales veulent que leur MNBC reste pertinente dans cinq à dix ans, elle doit s’intégrer harmonieusement dans le reste de l’écosystème des actifs numériques.
Donc, elle pourrait agir comme une option de secours ?
Oui, elle pourrait remplir plusieurs rôles. Peut-être qu'elle serait une option de paiement axée sur la confidentialité et à coût zéro, ou peut-être serait-elle le moyen désigné pour payer les impôts.
Si elle est utile, les gens l’adopteront ; sinon, ils continueront avec les stablecoins, les dépôts tokenisés, et d'autres méthodes de paiement. Mais je pense qu’elle trouvera une utilité dans le puzzle des actifs numériques.