Stanislas Barthélémi (Adan) : "Nous allons vers une finance hybride avec les banques et la crypto"

Stanislas Barthélémi (Adan) : "Nous allons vers une finance hybride avec les banques et la crypto"

À la tête du département blockchain de KPMG France, Stanislas Barthélémi prend les rênes de l'Association pour le développement des actifs numériques (ADAN) pour deux ans. Dans cette interview exclusive, il dévoile sa vision et sa feuille de route pour dynamiser et continuer d’ouvrir le secteur en France et en Europe.

The Big Whale : Vous venez d'être élu président de l'ADAN pour 2 ans. Pourquoi vous êtes-vous présenté ?

La crypto est ma passion depuis toujours. Je la vis au quotidien, tant personnellement que chez KPMG, où j'ai le privilège de collaborer avec l'ensemble de l'écosystème - des pure players aux institutions traditionnelles.

Dans cette période charnière d'ouverture du secteur, mon profil me permet de créer des ponts entre ces deux mondes. Mais c'est avant tout un projet collectif : entouré d'un board solide, nous recherchons actuellement notre futur directeur général pour piloter l'opérationnel. J'en profite, les candidatures sont ouvertes !

Quelle est votre ambition à la présidence de l’Adan ?

Notre priorité est claire : fédérer l'ensemble de l'écosystème crypto français. Des banques traditionnelles aux émetteurs de stablecoins, en passant par les prestataires technologiques, nous avons réussi à créer une vraie dynamique. L'arrivée d'acteurs non crypto-natifs est une force qu'il nous faut cultiver.

Cette convergence s'illustre particulièrement dans la tokenisation. Les banques, autrefois réticentes, s'ouvrent désormais aux cryptoactifs. La tendance est naturelle : la tokenisation d'actifs sur les réseaux publics et l'usage des stablecoins sont devenus incontournables.

Les cas d'usage se multiplient de façon spectaculaire : fonds monétaires, actions tokenisées, dette numérique... Les institutions financières y voient une révolution dans les échanges de valeur, accessibles 24/7 sur des infrastructures nouvelle génération. Cette transformation profonde impacte tant les particuliers que les professionnels.

Un enjeu crucial se dessine également autour de notre souveraineté technologique : devons-nous rester dépendants des infrastructures américaines, ou bâtir nos propres solutions européennes ? Dans le contexte géopolitique actuel, cette question est plus pertinente que jamais.

Réglementation, Europe, financement… Les chantiers de l'ADAN sont très nombreux. Sur lesquels allez-vous vous focaliser ?

Plusieurs axes prioritaires guideront notre action.

En premier lieu, l'obtention des agréments CASP en France, en étroite collaboration avec l'AMF et l'ACPR. Si la France a été pionnière avec la loi Pacte en 2019 - qui a largement inspiré MiCA - aucun acteur français n'a encore obtenu sa licence MiCA, contrairement à d'autres pays européens. Il faut que cela bouge.

L'Europe reste au cœur de nos préoccupations, notamment avec le Régime Pilote et la finance décentralisée. Nous devons apporter de la clarté sur des concepts clés comme le staking, en différenciant clairement les approches custodiales et non-custodiales.

La tokenisation est un autre chantier majeur. Au-delà du Régime Pilote, nous devons élargir considérablement le spectre des actifs concernés.

Enfin, nous préparons activement les échéances à venir, en France comme en Europe, avec un regard particulier sur l'élection présidentielle de 2027.

Dans une récente tribune, vous avez critiqué le fait que l'Europe se focalise trop sur l'euro numérique au détriment des stablecoins. Est-ce aussi un dossier que vous allez défendre ?

Absolument, c'est un enjeu fondamental qui s'inscrit dans notre vision globale. En Europe, nous devons dépasser cette opposition artificielle entre euro numérique et stablecoins. Les autorités ont tendance à voir l'euro numérique comme une solution universelle, négligeant le potentiel considérable des stablecoins.

Ma conviction est que ces deux modèles peuvent coexister. C'est l'usage qui déterminera naturellement leur place respective.

Les stablecoins s'imposent déjà comme l'outil idéal pour la finance décentralisée et les actifs tokenisés. Leur adoption croissante par les Français et les Européens témoigne de leur pertinence. Capitalisons sur cette dynamique.

Avez-vous une idée du nombre de détenteurs de stablecoins en Europe ?

Les chiffres sont éloquents : sur 50 millions d'Européens détenteurs de cryptomonnaies, 10 à 20 millions possèdent des stablecoins - majoritairement en dollars. Cette situation soulève une question stratégique : est-il souhaitable que nos citoyens soient autant exposés au dollar ?

En dépit d'une adoption croissante, les actifs numériques restent un sujet sensible. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Le discours a profondément évolué. Il y a dix ans, on parlait de remplacer la finance traditionnelle - une approche frontale qui a laissé des traces. Aujourd'hui, nous allons vers une finance hybride avec les banques et la crypto L'intégration progressive des cryptoactifs par les banques, impensable il y a cinq ans, illustre ce phénomène.

Les données confirment cette tendance : la dernière étude de l'Adan (réalisée avec Deloitte, ndlr) montre que 34% des Français prévoient d’investir dans les cryptoactifs, contre 22% auparavant. C'est une progression remarquable.

L'arrivée des fintechs et des banques va amplifier ce mouvement. Si les acteurs crypto-natifs ont conquis les moins de 35 ans, les institutions traditionnelles peuvent toucher une population plus large et plus diverse.

Vous ne voyez donc pas d'antagonisme entre banques et acteurs crypto-natifs ?

Au contraire, j'y vois une complémentarité naturelle. Les banques s'appuient sur l'expertise technique et la liquidité des acteurs crypto, sans pour autant devenir des plateformes d'échange. C'est une évolution logique. Aujourd'hui, 14% des Français ont déjà expérimenté les cryptoactifs - soit deux fois plus que l'investissement direct en actions.

Cette dynamique touche tous les secteurs, du privé au public, jusqu'aux sphères politiques qui s'intéressent au minage de Bitcoin avec EDF. Une telle ouverture était inimaginable il y a quelques années.

À propos d'EDF et du minage, l'ADAN compte-t-elle s'investir sur ce sujet ?

Le plan pluriannuel de l'énergie offre une opportunité unique d'exploiter notre parc nucléaire et nos énergies renouvelables pour le minage. Notre rôle est d'enrichir le débat public et d'encourager EDF à saisir cette opportunité stratégique. L'enjeu est majeur : EDF pourrait rapidement rejoindre le top 5 des mineurs mondiaux.

Quels sont les avantages d'une adhésion à l'ADAN ?

Dans un secteur émergent confronté à des réglementations complexes comme MiCA, l'union fait la force. Face aux incertitudes réglementaires, notre action collective nous permet d'influencer les autorités pour trouver le juste équilibre entre protection des utilisateurs et innovation.

Certains acteurs comme Ledger ne sont plus à l'ADAN parce qu'ils ne voient pas l'association comme utile. Comment les convaincre de revenir ?

Notre ambition est de rassembler tous les acteurs français et européens. Les enjeux sont partagés : prenez Ledger, qui développe des services de staking et de DeFi via Ledger Live - des domaines au cœur de notre action.

Comment percevez-vous le retour en force des États-Unis dans la crypto ? Que doit faire l'Europe ?

L'approche américaine est remarquable par sa dimension stratégique assumée. Leur politique sur les stablecoins vise clairement à renforcer la domination du dollar, y compris dans l'univers blockchain.

L'Europe doit adopter une vision similaire, au-delà des aspects techniques. L'euro a été créé pour contrebalancer le dollar ; aujourd'hui, nous devons développer des stablecoins en euros sur les blockchains.

Cette logique s'étend aux infrastructures : privilégions les réseaux publics et neutres plutôt que les plateformes propriétaires américaines.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis du gouvernement ?

Les signaux sont positifs. Notre collaboration avec plusieurs ministères sur la sécurité et la fiscalité porte ses fruits. L'enjeu est maintenant d'entretenir cette dynamique au niveau européen, en coordination étroite avec les parlementaires et le Conseil.

Plusieurs entrepreneurs crypto et leurs proches ont été récemment victimes d'enlèvement. Que faut-il faire ? Êtes-vous en contact avec les autorités ?

C'est une problématique que nous prenons très au sérieux. Nous maintenons un dialogue constant avec le ministère de l'Intérieur, partageant notre expertise terrain après chaque incident.

Si l'intervention des forces de l'ordre est exemplaire, nous pouvons encore progresser en matière de prévention et de coordination. C'est aussi un enjeu d'attractivité : la maîtrise de ces risques est cruciale pour notre écosystème. Bien que ce défi soit mondial, comme le souligne Jameson Lopp, une approche efficace peut devenir un avantage comparatif.

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