Les stablecoins sont un enjeu stratégique et l’euro numérique un tigre de papier

Les stablecoins sont un enjeu stratégique et l’euro numérique un tigre de papier

Dans une tribune, Charles Aubert-Couturier et Stanislas Barthelemi, responsables crypto chez KPMG France, mettent en garde contre la stratégie de l'Union européenne concernant sa monnaie numérique de banque centrale (MNBC). Selon eux, cette approche représente une impasse, tant sur le plan stratégique que financier.

Depuis plusieurs semaines, les États-Unis posent les jalons d’une stratégie clairement favorable aux stablecoins. Le "GENIUS Act 2025" (Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins Act), un effort bipartisan, illustre cette volonté en créant un cadre législatif garantissant que les réserves soient placées exclusivement dans des obligations américaines.

Cette démarche a par ailleurs été publiquement confirmée tant par des personnalités du gouvernement que des acteurs privés comme en témoignent les récentes déclarations de Scott Bessent - secrétaire au Trésor américain - ou de Bank of America et Fidelity pour ne citer qu’eux.

Ce consensus Outre-Atlantique doit interroger nos priorités européennes et nous inviter à remettre au centre de nos réflexions un certain pragmatisme.

Stratégie européenne : focus sur les MNBC et une réglementation stricte

En Europe, le cadre réglementaire MiCA, dont l’entrée en application a débuté en juillet 2024, encadre les stablecoins (définition, statut pour les émetteurs, obligations sur les fonctionnalités, etc.). Ce cadre, bien que nécessaire pour établir des règles du jeu claires, apparaît aujourd’hui trop restrictif, créant des barrières importantes pour les émetteurs. Parmi les principaux freins figurent les exigences en matière de collatéral, le droit de veto de la BCE, et l’interdiction de redistribuer aux clients particuliers ou institutionnels les rendements générés par le collatéral.

Parallèlement, l’Eurosystème se focalise sur le développement de l’euro numérique, dont le cadre fonctionnel et technique reste à définir, tout comme le besoin adressé.

Une récente étude de la BCE souligne par ailleurs le faible intérêt des répondants pour l’euro numérique, sans aborder les inquiétudes légitimes quant à l’équilibre entre libertés publiques et contrôle des flux financiers.

Des inquiétudes renforcées par l’exemple chinois, où le yuan numérique s’inscrit dans une logique de contrôle. Une dynamique opposée à celle des Etats-Unis, qui ont annoncé mettre en pause les travaux sur les Monnaies Numériques de Banque Centrale (MNBC), avec un décret présidentiel en date du 23 janvier 2025. Ce texte cite notamment des menaces pour la stabilité financière, la vie privée et la souveraineté nationale.

Un acte qui illustre ainsi une nouvelle fois deux visions opposées : d’un côté le soutien aux entreprises privées à l’initiative stablecoins dont les ambitions sont d’ampleur mondiale ; de l’autre une approche conservatrice marquée par les projets sur les MNBC portés par les acteurs publics.

Enfin, les infrastructures de paiement actuelles – Wero, les virements instantanés – ainsi que l’existence d’alternatives comme les stablecoins, le bitcoin et d’autres crypto-actifs, apportent d’ores et déjà des réponses opérationnelles en matière de paiement. Parmi ces alternatives, les stablecoins s’imposent comme l’actif tokénisé le plus proche de la monnaie fiat (lire le rapport de The Big Whale) et dont l’adoption et les cas d’usage se développent à grande vitesse.

Stablecoins : une adoption qui dépasse l'écosystème crypto

Le marché des stablecoins a atteint 235 milliards de dollars en mars 2025, soit une croissance de 100 % en un an. Ils représentent aujourd’hui 1 % de l’agrégat monétaire M2 traditionnel, mais sous forme tokenisée. À 99,8 % libellés en dollars, seuls 300 millions d’euros circulent sous forme de stablecoins en euro. Tether, premier émetteur de stablecoins en dollars, est quant à lui devenu le 7ᵉ plus gros acheteur de dette américaine en 2024.

D’abord utilisés principalement pour le trading sur crypto-actifs, les stablecoins se déploient désormais sur d’autres cas d’usage financiers plus traditionnels, tels que :

👉 Les paiements transfrontaliers comme les rémittences, représentant par exemple $2 300 milliards sur les 11 000 milliards échangés en stablecoins en 2023.

👉 Les transactions liées aux actifs tokenisés (fonds monétaires, bonds, actions...), par exemple BUIDL de Blackrock ou les fonds proposés par Spiko en Europe pouvant servir de collatéral à des opérations financières

👉 Le rôle de "dollar offshore" dans des économies où la monnaie locale se déprécie fortement et où le taux de bancarisation est faible. Par exemple, en Turquie, dont la monnaie s’est dépréciée d’environ 40 % en 2023, les achats de stablecoins ont représenté 4,3 % du PIB entre avril 2023 et mars 2024, soit environ 38 milliards de dollars. Un signal fort témoignant du nouveau rôle des stablecoins comme réserve de valeur et porte de sortie monétaire pour de nombreuses populations.

Appel à l'action : souveraineté technologique et monétaire

Dans un monde financier de plus en plus tokenisé, l’intérêt et le potentiel des stablecoins sont indéniables, notamment dans la perspective d’une union des marchés de capitaux. Dans ce contexte, ils pourraient ainsi être un outil clé pour :

👉 Faciliter le financement des entreprises européennes - de la défense aux industries stratégiques - et donc renforcer leur compétitivité et favoriser l’innovation,

👉 Elargir les possibilités d’investissement des épargnants retail,

👉 Renforcer le rôle de l’euro en tant que monnaie d’investissement internationale.

Au-delà d’un enjeu technologique, c’est une véritable bataille monétaire qui se joue. Un enjeu qui est d’autant plus important dans un contexte économique et géopolitique marqué par des guerres commerciales quasi historiques (droits de douane...). L’Europe doit ainsi garantir que l’euro reste une monnaie clé du commerce international, au même titre que le dollar, ce qui doit également passer par les systèmes et les infrastructures de paiement alternatifs de demain, dont font parties les stablecoins.

Après des expérimentations pionnières et bénéfiques, il est temps de passer à l’échelle et d’accélérer le développement d’une réponse française et/ou européenne au développement des stablecoins en dollars.

Pour cela, il est urgent de mobiliser les acteurs institutionnels et financiers pour s’emparer du sujet et proposer des actions concrètes comme :

👉 La création d’un consortium bancaire, national ou européen (via un EME) et un stablecoin de place,

👉 Initier de nouveaux échanges auprès des régulateurs européens pour lever certains freins règlementaires propres à MiCA et aux EMT, voire modifier le cadre en vigueur et le rendre plus attractif tant pour les utilisateurs et les émetteurs,

👉 La promotion des stablecoins comme actif de règlement pour les actifs tokénisés, ce qui doit avant tout passer par une prise de conscience des acteurs publics sur l’enjeu monétaire et technologique de ces nouveaux actifs.

L’Europe doit agir rapidement pour ne pas se laisser distancer par les États-Unis dans cette course à l’innovation financière.

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