The Big Whale : Vous venez d’être réélue à la tête de l’Adan. Quel est votre sentiment ?
Faustine Fleuret : Je suis très heureuse. Pour moi, c’est à la fois la reconnaissance du travail accompli lors de mon premier mandat, de ce que nous avons fait depuis 2021 avec tous les membres de l’Adan, et aussi un choix qui m’engage parce qu’il y a beaucoup de choses à faire lors des deux prochaines années.
Vous avez été réélue sans qu’aucun candidat ne se présente en face. Pourquoi ? Cette élection n’était-elle pas l’occasion d’un vrai débat sur l’avenir de l’Adan ?
Ça aurait pu en effet se produire, mais je pense tout simplement que la majorité des membres était satisfaite de mon travail et que certains candidats potentiels ont aussi compris que le job de présidente n’est pas simple…
J’ai candidaté il y a quelques semaines, j’ai donné mon programme en interne, dit ce que je voulais faire. J’ai beaucoup réfléchi, j’ai pris cette élection très au sérieux, et je pense que c'est ce qui a convaincu les membres de l'Adan.
Je pense d’ailleurs que la continuité est une très bonne chose parce qu’elle va nous permettre de reprendre toutes les discussions que nous avions avec nos interlocuteurs : politiques, entreprises, régulateurs…
Quels succès retenez-vous de votre premier mandat ?
Je pense que la représentativité de l’association est un vrai succès. Lorsque j’ai pris la tête de l’Adan, il y avait une cinquantaine d’entreprises, essentiellement crypto et, aujourd’hui, nous avons 200 entreprises qui viennent d’horizons différents. Nous devons continuer sur cette voie.
Avez-vous le sentiment que tous les secteurs sont bien représentés ?
Nous pouvons toujours faire mieux, mais nous avons aujourd’hui des représentants des jeux vidéos, de la DeFi, des NFTs…
N’est-ce pas compliqué de gérer cette diversité ?
Les comités de l’Adan servent à cela. Aujourd’hui, nous en avons quatre : un sur le droit, un sur les PSAN, un sur les NFTs et un dernier sur la DeFi.
Ces comités permettent d’avancer sur des sujets précis sans consulter et mobiliser tous les membres de l’Adan à chaque fois. Nous n’avons pas besoin que les PSAN travaillent sur les sujets liés à la DeFi, et vice versa. Ces comités évoluent en fonction des priorités de l’Adan.
Parallèlement à cela, nous avons des groupes de travail thématiques qui, eux, sont ouverts à tous. Ces comités et groupes de travail relèvent du fonctionnement interne de l’Adan. En externe, nous avons et nous devons porter une voix commune.
Vous parlez de diversité de l’Adan, pourtant la majorité des membres du conseil d’administration (10 membres auxquels s’ajoutent les présidents de comités) sont des acteurs centralisés comme Fireblocks, Coinhouse ou même Binance France. N’est-ce pas un problème pour un secteur qui défend la décentralisation ?
Être administrateur de l’Adan est une activité qui demande du temps et des moyens, donc ce n’est pas étonnant de retrouver des acteurs assez établis et pour la plupart centralisés. Tout le monde peut être membre du conseil d’administration de l'Adan, mais pour cela, il faut être candidat et être élu. C’est ce que nous venons de faire.
Les start-up et les acteurs plus décentralisés ne sont pas exclus. Ils sont étroitement associés au travail dans les comités ou des groupes de travail. Il y a un comité DeFi, dirigé par Marc Zeller (Aave), qui est aussi membre de droit du conseil d’administration de l’Adan. Il faut aussi prendre en compte le fait que tout le monde ne veut pas s’afficher publiquement. Certains sont très contents d’agir plus discrètement.
Quel est le rôle du conseil d’administration de l’Adan ?
Il réunit les acteurs qui vont m’aider à porter un plus directement la voix de l’écosystème. Ils vont mobiliser du temps et des ressources pour faire avancer nos sujets, c’est un vrai engagement, ce n’est pas seulement symbolique.
En parlant de symbole, Binance France a été élu au conseil d’administration de l’Adan alors que la plateforme est visée par plusieurs enquêtes en France et à l’étranger ? N’y a-t-il pas un risque de réputation ?
Bien sûr, je comprends qu’il y ait une forme d’inquiétude, mais ce sont les 200 membres de l’Adan qui ont voté pour l’entrée de Binance au conseil d’administration.
Binance est membre de l’Adan depuis septembre, et ils sont très impliqués à la fois dans les groupes de travail et dans l’écosystème, notamment en la personne de Stéphanie Cabossioras (directrice générale de Binance France, ndlr). Beaucoup de membres voient cette implication, et je pense que cela a joué en leur faveur.
Donc l'existence d'enquêtes ne pose pas de problème ?
Ce n’est pas la première fois qu’une entreprise est visée par une enquête judiciaire, il y en a beaucoup, surtout en dehors du Web3. Je pense, en réalité, qu’il faut décorréler les deux : il y a la vie des entreprises et la vie de l’Adan.
Et plus globalement, il faut prendre un peu de recul. Binance est un acteur historique de l’écosystème, ils se sont lancés à une époque où n’y avait pas de régulation. Comme beaucoup, ils ont appris en marchant, et ils se sont mis progressivement dans les clous. Aujourd’hui, ils sont conformes à la régulation française, c’est le plus important.
Comprenez-vous que cette situation inquiète certains membres de l’association, surtout après une année marquée par les scandales à répétition ?
Je comprends que cela suscite des questions, mais encore une fois, c’est un choix des membres de l’Adan.
Que se passera-t-il si jamais les choses s’accélèrent sur le plan judiciaire pour Binance France ?
L’Adan a un règlement intérieur et une charte de bonnes pratiques qui servent de garde-fous. Si la situation venait à évoluer, nous pourrions prendre les mesures nécessaires. Tous les membres de l’Adan connaissent la charte. En cas de non-respect, l’association, en concertation avec son conseil d’administration, peut suspendre ou radier l’un de ses membres.
Aujourd’hui, vous êtes présidente de l’Adan, mais aussi directrice générale, ce qui n’était pas le cas pour vos prédécesseurs. N’est-ce pas un sujet en termes de gouvernance ? Pourquoi ne pas séparer de nouveau les deux fonctions ?
La double casquette est lourde, je ne vais pas le cacher, mais si les membres m’ont reconduit, c’est qu’ils pensent que je suis capable d'assumer les deux postes. Je vais en tout cas tout faire pour leur donner raison.
Combien de salariés l’Adan compte-t-elle ?
Aujourd’hui, en me comptant, nous sommes sept. L’équipe doit encore s’agrandir.
L’Adan réunit aujourd’hui 200 entreprises, mais certains acteurs, notamment dans les jeux vidéos comme Sorare ou Voodoo, ne sont pas membres et avancent de leur côté. Pourquoi ? N’est-ce pas un échec collectif ?
C’est évidemment un problème. Si certains acteurs jouent collectif et apportent des ressources pour tout l’écosystème, d’autres n’ont pas la même approche, et c’est dommage. Après nous ne pouvons pas forcer les uns et les autres à nous rejoindre.
D’où vient le problème ?
Je pense que c’est une mauvaise compréhension de la situation. L’Adan n’a pas vocation à se substituer aux entreprises. Que les entreprises défendent leurs intérêts dans des dossiers qui leur sont propres (Sorare sur la loi “Jeux à objets numériques monétisables”, ndlr ) est totalement normal. Mais nous avons aussi besoin de porter une voix collective.
Une association ne remplace pas les entreprises, elle les aide. Le collectif est au service des cas particuliers.
Certains critiquent le fait que l’Adan, à force de s’élargir, perd en cohérence. Êtes-vous d'accord ?
Nous ne pouvons pas avoir de critère d'admission subjectifs pour les membres. Il faut des critères objectifs : pour être membre de l’Adan, vous devez avoir un projet, une activité dans le Web3.
Après, votre secteur d’activité ou votre taille n’a pas d’importance. N’oublions pas que la mission de l’Adan est de développer le Web3, donc il faut être ouvert.
Est-ce que vous refusez des membres ?
Ça nous est arrivé, mais parce que l’entreprise n’avait aucun lien avec le Web3 et les cryptos.
Certains membres de l’Adan ne sont pas forcément très recommandables... N’est-ce pas un sujet ?
Nous sommes attentifs, mais nous ne pouvons pas, et ce n’est surtout pas notre rôle, enquêter sur tous les membres. Lorsque les entreprises candidatent, nous regardons si ce sont des entreprises qui touchent aux actifs numériques, et si elles sont enregistrées ou en passe de l’être.
Nous avons ce filtre, mais pas plus. Ce serait d’ailleurs une erreur de faire autrement parce que notre rôle est aussi d’accompagner les projets. Aujourd’hui, nous avons besoin de tout le monde pour avancer.
Quelles sont vos priorités pour ce nouveau mandat ?
J’ai trois priorités. La première, c’est d’être plus européen. Nous sommes encore trop français, ce qui est normal, mais il faut s’ouvrir aux acteurs européens. Nous sommes en train de recruter quelqu’un à Bruxelles pour asseoir cette stratégie européenne.
Le deuxième axe, c’est de se diversifier dans les thématiques. Nous ne devons pas être seulement présents sur les sujets purement financiers. Le gaming est l’une des thématiques sur lesquelles nous devons être plus présents.
Le troisième, ce sont évidemment les grands groupes. Ces grands groupes comme Casino ou d’autres peuvent donner un poids plus important à notre action, nous permettre de trouver de nouveaux alliés, notamment auprès des politiques et du régulateur.
Qu’est-ce qui va vous permettre d’atteindre ces objectifs ?
Je pense qu’une partie de la solution vient de l’implication des membres. Il faut qu’ils comprennent que l’Adan a besoin d'eux. Si les membres ne nous soutiennent pas, notre action sera limitée.
De quels moyens disposez-vous ?
Grâce aux membres, et à leurs cotisations, nous avons déjà une belle équipe. L’enjeu est de grossir encore plus.
Aujourd’hui, l’Adan vit grâce aux cotisations de ses membres. Est-ce la seule source de revenus ?
C’est la principale. L’année dernière, nous avons reçu une subvention de la part de la fondation Cosmos, qui est un protocole de première couche.
Pourquoi Cosmos ? Quel est leur intérêt ?
Ils suivent avec attention l’évolution de la réglementation sur la finance décentralisée en Europe, donc pour eux c’était intéressant de nous financer. Ils savent que nous défendrons l’intérêt de l’industrie.
Quel était le montant de cette subvention ?
Autour de 80.000 euros, c’est public.
Quelles sont les relations politiques de l’Adan ? De quels leviers disposez-vous ?
Nous avons réussi au fur et à mesure à créer des liens avec les élus, mais il y a des élections et nos interlocuteurs changent, donc il faut entretenir ces réseaux.
Les prochaines échéances sont les élections sénatoriales, qui comme on l’a vu lors des débats autour de la “loi influenceurs” , sont des interlocuteurs importants. Il y a les élections européennes en 2024.
Plus globalement, comment voyez-vous les responsables politiques ? Est-ce que le Web3 est toujours un sujet prioritaire en France et en Europe ?
Oui bien sûr, même s’il y a toujours un décalage entre ce que nous aimerions faire et la réalité du terrain.
Quel est le premier chantier que vous souhaitez porter pour ce second mandat ?
À court terme, ce sont les élections sénatoriales de la rentrée. Ce genre de séquence nous permet de réexpliquer ce que nous faisons, ce que représente l’industrie Web3 en France, ses quelque 5000 emplois et surtout son potentiel !
À moyen terme, c’est-à-dire l’année prochaine, nous allons avoir un gros enjeu au niveau des élections européennes. Comme nous l’avons vu avec MiCA , l’industrie n’a pas que des amis, loin de là, et donc nous devrons nous investir dans la campagne pour faire entendre notre voix.
N’est-ce pas compliqué de représenter le Web3 au moment où on ne parle que d’intelligence artificielle ?
Je pense que les deux sujets sont complémentaires . Nous avons des membres qui sont autant dans l’intelligence artificielle que dans le Web3, donc des ponts vont se créer, et les deux vont se développer ensemble.