Reading
MiCA : les dessous d'une année décisive pour les acteurs européens

Twitter ARticle Share

Linkedin Article Share

Facebook article share

MiCA : les dessous d'une année décisive pour les acteurs européens

MiCA : les dessous d'une année décisive pour les acteurs européensMiCA : les dessous d'une année décisive pour les acteurs européens

La nouvelle réglementation européenne va entrer en vigueur d'ici la fin de l'année. Même si les entreprises du secteur bénéficieront d'une période de transition, beaucoup risquent de ne pas réussir à obtenir l'agrément. Des centaines d'entreprises sont concernées à l'échelle européenne.

Il y a des années qui comptent plus que les autres, et pour les acteurs crypto européens, 2024 va clairement compter.

D'ici à la fin de l'année (30 décembre précisément), la réglementation MiCA (Markets in Crypto-Assets) entrera en application. Cette réglementation, qui a beaucoup fait débat ces 18 derniers mois en Europe, doit permettre de donner un cadre réglementaire aux crypto-actifs.

L'une des principales mesures de MiCA est de rendre obligatoire un agrément de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN), qui existe déjà à l'échelle nationale dans certains pays comme la France.

Les entreprises qui bénéficient déjà d'un enregistrement PSAN auront jusqu'au 30 juin 2026 pour obtenir leur agrément. Après cela, il n'y aura plus d'alternatives, et tous les acteurs sans agrément ne pourront plus opérer dans les 27 pays membres.

Les règles du jeu sont donc claires.

CalendrierLe problème est que beaucoup d'entreprises risquent de ne pas survivre jusqu'à mi-2026. Les raisons de ces difficultés sont multiples, mais c'est surtout la faiblesse du modèle économique de nombreux acteurs qui pourrait jouer.

"De nombreux entrepreneurs ont tenté leur chance en proposant des services crypto, mais parfois sans trop anticiper les contraintes réglementaires", rappelle Anne Maréchal, avocate associée au sein du cabinet De Gaulle Fleurance.

Directrice juridique de l'Autorité des marchés financiers (AMF) de 2013 à 2022, Anne Maréchal a activement participé à la mise en place de la réglementation des actifs numériques en France, qui a ensuite largement inspiré la rédaction de MiCA au niveau européen.

À ce jour, seule Forge, la filiale de la Société Générale, a obtenu le précieux sésame en France. "Le fait de décerner le premier agrément à un acteur bancaire traditionnel est clairement un message de la part de l'AMF. C'est le signe que la réglementation est quelque chose de sérieux et qu'elle a un prix", confie un avocat du secteur.

Le prix d'un dossier d'agrément est évalué à plusieurs centaines de milliers d'euros par an.

"Grosso modo, l'obtention de l'agrément coûte à elle seule environ 100 000 euros, une somme comprenant l'accompagnement juridique et le conseil. Au-delà, il faut ajouter des frais supplémentaires de l'ordre de 30 000 à 50 000 euros pour l'audit de cybersécurité", selon Victor Charpiat, avocat chez Kramer Levin.

"Ensuite, le coût du maintien en conformité se chiffre à environ 500 000 euros par an. Des frais comprenant l'externalisation du contrôle interne ou encore le budget consacré aux contrôles du régulateur, ainsi que les salaires des équipes en charge de la conformité. Pour des acteurs de grande taille, cette somme peut monter jusqu'à 1 million d'euros annuellement", précise-t-il à The Big Whale.

En plus de ces sommes à débourser, les acteurs devront faire face à une guerre des talents qui a déjà commencé. "L'agrément implique d'avoir certains profils assez rares qui maîtrisent à la fois la finance traditionnelle et la crypto", complète Anne Maréchal. Or, ces profils ne sont pas légion.

👉 Une situation financière difficile

"D'une manière ou d'une autre, tous les petits acteurs sont à vendre", lâche un entrepreneur dont l'entreprise est elle-même sur le marché. "Les 18 derniers mois marqués par la chute des marchés et les scandales à répétition comme FTX ont détourné les investisseurs particuliers de ce marché et mis à l'arrêt de nombreuses discussions avec les plus grands acteurs de la finance traditionnelle", poursuit-il.

Pour tenter d'aller chercher un second souffle, le market maker Woorton s'est vendu au britannique B2C2 fin août.

D'autres PSAN, pour s'adapter, sont obligés de faire pivoter leur modèle. C'est notamment le cas de Klub, une plateforme française d'investissement et de services financiers destinée à des investisseurs privés lancée en 2020. "Nous allons relever la barrière à l'entrée pour les nouveaux entrants en nous concentrant désormais sur les institutionnels", explique Reda Berrehili*, fondateur et CEO de Klub.

Même les plus grands acteurs n'échappent pas à la règle. Le courtier Coinhouse est en train de se séparer de 15 % de ses effectifs, soit une dizaine de personnes, et a pris la décision de stopper son activité Web3 et métavers qui faisait partie de sa stratégie de diversification au-delà de son activité historique de courtier crypto. "Il nous reste du cash, nous avons de la visibilité, mais nous ne savons pas combien de temps le marché baissier va encore durer", confiait son CEO Nicolas Louvet à The Big Whale.

Au vu du contexte, peu de PSAN sont donc en situation favorable, notamment financièrement, pour mettre plus de 500.000 euros pour un agrément. "Il reste encore du temps, mais on sent de plus en plus de nervosité chez certains acteurs de l'écosystème", explique le responsable d'un fonds.

Cette nervosité ne devrait pas baisser. Selon nos informations, l'écosystème crypto français, qui est pourtant concerné en premier chef par MiCA, n'a pas été convié à la table des négociations qui vont avoir lieu auprès de l'EBA (Autorité bancaire européenne) et de l'ESMA (l'autorité européenne des marchés financiers), les deux principaux régulateurs européens. Le but de ces "négociations" est de correctement traduire et retranscrire dans les droits nationaux le règlement.

👉 Une représentation limitée aux grands acteurs

Actuellement, des discussions ont lieu au sein du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP) dans le cadre de l'adaptation du droit français au droit européen dans le contexte de MiCA. Lancé en 2015 par l'AMF et la Banque de France, ce comité a officiellement pour but de produire des rapports juridiques. Plus concrètement, il sert de base de concertation pour du lobbying destiné à défendre les intérêts français à l'échelle européenne, notamment auprès de l'EBA et de l'ESMA.

Bien que des "consultations informelles" soient prévues avec les PSAN dans les prochains mois, très peu d'entités représentant l'écosystème crypto ont été invitées à participer aux groupes de travail. On peut notamment s'étonner de l'absence de l'Association pour le Développement des Actifs Numériques (Adan), l'interlocuteur privilégié des régulateurs depuis plusieurs années. Seuls quelques acteurs triés sur le volet sont conviés aux discussions qui, selon nos informations, réunissent également plusieurs représentants de banques françaises.

"Les acteurs crypto-natifs ne font pas partie des négociations, qui sont clairement laissées aux mains des grandes entités, essentiellement constituées d'institutions financières traditionnelles", confie un des participants. "En même temps, un petit PSAN dont l'avenir demeure très incertain serait-il crédible et apte à discuter de la réglementation au niveau européen ? Franchement, non", conclut-il.

Si elle n'est pas nommément présente dans les groupes de travail du HCJP, l'Adan assure avoir "une participation historique" de son responsable des affaires juridiques, Hugo Bordet, qui a pourtant quitté l'association en décembre et qui s'apprête à rejoindre le cabinet Kramer Levin.

"De nombreux membres du comité juridique de l'Adan, notamment ses présidents, participent activement aux travaux du HCJP et nous menons évidemment des missions propres sur la transition MiCA en lien avec les autorités publiques", précise à The Big Whale Mélodie Ambroise, sa directrice stratégique et des relations institutionnelles.

Mais de manière générale, l'écosystème crypto natif est "de moins en moins bien représenté au sein des organismes clés travaillant sur les questions de réglementation, c'est un fait", déplore un avocat proche du secteur.

👉 Un système D pour ne pas "tuer l'innovation"

En prévision du tri qui va s'opérer d'ici 2026, des avocats du secteur travaillent déjà sur des solutions qui permettraient à des PSAN n'ayant pas les moyens de se conformer à MiCA de continuer à exercer sous la supervision d'une entité agréée.

"L'objectif est de permettre à certains acteurs de travailler sous la supervision d'un PSAN agréé. C'est un moyen de préserver l'innovation tout en évitant un carnage", explique un avocat qui travaille déjà sur les ébauches d'un tel montage. "Les candidats sont donc les banques qui aujourd'hui sont les acteurs dans une position idéale pour obtenir l'agrément PSAN", ajoute-t-il.

Autre alternative, certains PSAN chercheraient également à obtenir leur agrément ailleurs qu'en France pour bénéficier d'un coût du travail et d'une fiscalité plus attractive, notamment en Europe de l'Est, MiCA étant passportable entre les 27 pays membres.

*Reda Berrehili est actionnaire minoritaire à titre individuel de The Big Whale

Tout ce qui compte en Web3. Chaque semaine.
25€/mois
12.5€/mois
Offre disponible jusqu’au 30.04.2024. 30 jours d’essai gratuit.
S'abonner