The Big Whale : Pour commencer simplement, qu'est-ce qu'un Based Rollup ?
Matthew Edelen : Un Based Rollup est une blockchain de couche 2 qui utilise Ethereum comme coordinateur central, au lieu d'avoir son propre système de coordination. Pour bien comprendre, prenons un exemple : aujourd'hui, les layer 2 comme Arbitrum ou Optimism fonctionnent de manière indépendante, ce qui crée une fragmentation des activités et de la liquidité.
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Les Based Rollups proposent une approche différente : ils laissent Ethereum organiser l'ordre des transactions pour tout l'écosystème. C'est comme si toutes ces blockchains devenaient synchronisées, donnant l'impression aux utilisateurs d'interagir avec une seule et même chaîne.
En pratique, cela change tout. Les développeurs peuvent déployer leurs applications sur n'importe quel layer 2 sans modification, et les utilisateurs n'ont plus à se soucier des ponts entre les différentes chaînes. C'est beaucoup plus simple et efficace.
La fragmentation de la liquidité et des activités est présentée comme un frein majeur pour Ethereum. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
C'est effectivement l'un des principaux obstacles à l'augmentation de la valeur de l'ETH. Il y a plusieurs aspects à considérer.
D'abord, la fragmentation de la liquidité entraîne de moins bonnes conditions d'exécution pour les transactions, ce qui pénalise directement les utilisateurs et les traders.
Ensuite, il y a la question de l'efficacité du capital. Quand vous devez transférer des fonds entre différentes chaînes, vous perdez du temps et de l'argent dans le processus de bridging. C'est beaucoup moins efficace qu'une chaîne unique.
Le troisième aspect, qui est peut-être le plus important pour la croissance de la valeur, c'est la complexité excessive du système. Pour vraiment comprendre et utiliser un Layer 2, il faut l'avoir pratiqué. Et avec autant de Layer 2 différents, beaucoup d'utilisateurs finissent par dire : "C'est trop compliqué, je préfère utiliser Solana ."
Pour les développeurs aussi, c'est un vrai casse-tête. Imaginez devoir mettre à jour une application ou un jeton sur plusieurs chaînes : il faut gérer les ponts, coordonner les messages... C'est très frustrant. L'idéal serait d'avoir une expérience où tout se passe comme sur une seule chaîne. Et c'est exactement ce que promettent les Based Rollups.
"Convaincre les layer 2 d'adopter les Based Rollups" Quels sont les principaux obstacles à la mise en place des Based Rollups ?
Il y a plusieurs défis à relever. D'abord, il faut comprendre que les Layer 2 actuels utilisent des séquenceurs centralisés car c'était la solution la plus pragmatique pour limiter les risques techniques.
Le principal défi technique aujourd'hui, c'est de développer une technologie de preuve en temps réel qui permet la composabilité synchrone. C'est un aspect crucial mais qui comporte encore plusieurs inconnues.
Nous devons aussi faire attention à ne pas trop dépendre du Layer 1 pour le séquençage. C'est important pour garantir des pré-confirmations rapides aux utilisateurs et les protéger en cas de bugs dans le rollup.
Mais je suis optimiste car nous avons fait d'énormes progrès techniques ces derniers mois, notamment sur l'implémentation concrète des Based Rollups.
N'aurait-il pas fallu identifier plus tôt le potentiel des Based Rollups pour résoudre les problèmes de scalabilité d'Ethereum ?
Si nous devions tout recommencer aujourd'hui, avec nos connaissances actuelles, nous construirions probablement chaque rollup comme un Based Rollup. Mais à l'époque, le choix des séquenceurs centralisés était logique : nous devions gérer la complexité du Layer 1 Ethereum et offrir des confirmations rapides.
Les équipes des Layer 2 ont fait ce choix en connaissance de cause. Même si leurs rollups étaient moins sécurisés, cela leur a permis de gagner la confiance des utilisateurs et de construire des bases solides.
La bonne nouvelle, c'est qu'aujourd'hui nous avons surmonté ces obstacles. Les technologies de preuve et de Zero-Knowledge nous permettent de former des blocs de transaction très rapidement. C'est ce qui rend les Based Rollups désormais réalisables.
The Big Whale : La question de l'adoption par les layer 2 semble cruciale...
Absolument. Au-delà des défis techniques, convaincre les layer 2 de migrer vers cette technologie est essentiel. Les effets de réseau sont déterminants dans la crypto. Si certaines chaînes refusent d'adopter les Based Rollups, nous risquons une nouvelle fragmentation de l'écosystème.
Prenons l'exemple de Base : s'ils décident de ne pas adopter ce modèle tout en poursuivant leur croissance, cela créerait une incompatibilité avec les Based Rollups. Et même avec une interopérabilité rapide entre rollups, le problème de fragmentation persisterait.
Le défi est donc plus politique que technique ?
C'est exact. Notre priorité est d'apporter aux acteurs toutes les garanties nécessaires en termes de partage de valeur et de sécurité. La coordination prendra du temps, mais je reste convaincu que c'est la direction à suivre.
L'abstraction de chaîne, portée par des acteurs comme Socket, est parfois présentée comme une solution à la multiplication des layer 2. Qu'en pensez-vous ?
Il y a beaucoup de confusion autour de ce terme. L'abstraction de chaîne améliore certes l'expérience utilisateur, mais pas celle des développeurs.
De plus, elle nécessite de faire confiance à un réseau de solvers pour gérer les transactions. C'est une solution de repli, mais pas viable à long terme.
Les Based Rollups sont la solution pour résoudre ces problèmes, mais une certaine méfiance persiste dans l'écosystème Ethereum car cette technologie reste mal comprise. Le défi n'est pas tant sa faisabilité technique que la coordination des acteurs pour son déploiement. Cette appréhension s'explique aussi par notre manque de recul : nous n'avons que huit ans d'expérience en blockchain, contre des décennies pour l'industrie technologique traditionnelle.
"Toute personne qui prend le temps de comprendre les Based Rollups finit par être convaincue" Pensez-vous qu'Ethereum pourrait être dépassé par des nouveaux layer 1 comme Sui, Aptos ou Solana ?
Il faut être honnête : oui, Ethereum peut être détrôné. Ce serait naïf de penser le contraire, surtout quand on voit le succès récent de Solana.
Cependant, l'effet réseau d'Ethereum reste un avantage majeur. Que ce soit pour les outils de développement, le nombre de développeurs actifs, les métriques on-chain ou les contrats intelligents, Ethereum est leader sur tous les fronts.
Dans ce contexte, abandonner Ethereum pour Solana serait prématuré, d'autant que nous n'avons pas encore exploré tout le potentiel d'amélioration d'Ethereum.
La feuille de route d'Ethereum n'aurait-elle pas dû être définie différemment ?
Il faut comprendre que la feuille de route n'est pas gravée dans le marbre. C'est un processus itératif où nous nous adaptons constamment aux nouvelles informations et aux priorités qui émergent.
Notre priorité immédiate est d'augmenter la limite de gas sur le Layer 1 d'Ethereum et d'optimiser son exécution, mais seulement jusqu'à un certain point.
Nous atteindrons cette limite lorsque les compromis deviendront trop importants, notamment en termes de robustesse du réseau, de légèreté des nœuds et de coûts matériels. En attendant, nous pouvons nous concentrer sur des optimisations simples, comme l'ajustement des prix du gas.
L'objectif est de maintenir les applications sur le Layer 1 pendant environ un an, le temps que les Based Rollups arrivent à maturité. À ce moment-là, Ethereum pourra naturellement évoluer vers un modèle privilégiant les Based Rollups et l'exécution native sur Layer 2.
Comment convaincre Uniswap d'adopter les Based Rollups alors qu'ils développent leur propre chaîne ?
Il y a deux points principaux à clarifier. Le premier concerne la MEV (Maximum Extractable Value) , ces revenus générés par l'arbitrage des transactions. Uniswap capture aujourd'hui cette valeur avec son propre réseau et en redistribue une partie aux utilisateurs. Mais contrairement à ce que certains pensent, adopter un Based Rollup ne signifie pas perdre ces revenus.
En réalité, la capture de MEV reste tout à fait possible sur un Based Rollup en adaptant les séquenceurs. Nous l'expliquons dans notre light paper sur Spire.dev - c'est une solution simple que la Unichain pourrait facilement adopter.
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Et le deuxième point ?
C'est la question de la performance. Uniswap met en avant ses "Flash blocks" qui permettent une validation en 150 millisecondes. Mais un Based Rollup peut offrir des performances similaires, tout en apportant des avantages supplémentaires : accès à la liquidité du Layer 1, acquisition d'utilisateurs simplifiée et plus grande flexibilité pour l'avenir. D'ailleurs, nos équipes travaillent déjà sur des preuves d'opérations inférieures à 250 millisecondes sur le Layer 1 d'Ethereum.
Comment avancent vos discussions avec les différents acteurs de l'écosystème ?
Nous sommes en contact permanent avec de nombreuses équipes. Notre rôle chez Spire Labs ne se limite pas à développer la technologie : nous travaillons aussi à créer un environnement propice à son adoption.
Les retours sont contrastés, mais encourageants dans l'ensemble. Comme le dit si bien Justin Drake, la compréhension des Based Rollups mène naturellement à l'adhésion.
Parlons coûts. Que peut-on attendre des Based Rollups en termes de frais ?
Les frais seront comparables à ceux des layer 2 actuels. L'avantage majeur des Based Rollups, c'est leur capacité à réduire significativement le coût par transaction, surtout quand on traite des milliers d'opérations.
Une fois le système déployé, les utilisateurs ne paieront que quelques centimes pour leurs transactions sur le layer 1.