Jean-Baptiste Graftieaux (Bitstamp) : ”Avec Robinhood, on couvre tout le spectre”

Jean-Baptiste Graftieaux (Bitstamp) : ”Avec Robinhood, on couvre tout le spectre”

Bitstamp finalise son rachat par Robinhood, un tournant stratégique pour les deux plateformes. Pour son CEO Jean-Baptiste Graftieaux, l’objectif est de combiner puissance institutionnelle et portée grand public pour conquérir les marchés mondiaux.

Vous avez entamé des discussions avec Robinhood en juin 2024. Où en est le processus de vente ?

Nous avançons sur le processus d’approbation réglementaire, qui est particulièrement complexe dans notre cas puisque Bitstamp est supervisé par une cinquantaine de régulateurs à travers le monde. Chaque autorité doit approuver le changement de contrôle. C’est donc un processus long : chaque régulateur mène sa propre enquête.

Concrètement, que va permettre Bitstamp à Robinhood ? Est-ce que vous devenez leur tête de pont pour l’Europe ?

C’est une bonne façon de le résumer. Plusieurs éléments ont motivé Robinhood à faire ce deal. D’abord, notre portefeuille de licences hors des États-Unis. Nous en détenons une cinquantaine, réparties entre les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Europe, et bientôt la zone Asie-Pacifique. Ce maillage réglementaire leur permet d’envisager une expansion internationale rapide. Deuxième point : notre développement dans les produits dérivés. Nous avons obtenu une licence MiFID en octobre dernier.

Troisième levier stratégique : la tokenisation, un sujet que nous explorons activement et qui pourrait à terme être exploité par Robinhood. Enfin, notre positionnement client. Robinhood a historiquement une base très retail, alors que Bitstamp a développé une vraie culture institutionnelle. Ensemble, nous couvrons tout le spectre. Oui, nous sommes leur passerelle vers l’Europe, mais nous leur apportons bien plus.

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Robinhood a lancé son application en Europe fin 2023 sans faire beaucoup de bruit. Votre acquisition explique-t-elle cette prudence ?

Je ne peux pas parler à leur place, mais leur priorité reste clairement les États-Unis. Avec plus de 25 millions de clients et des volumes mensuels en milliards de dollars, le marché américain est central. Cela dit, le projet d’acquisition de Bitstamp a sans doute renforcé leur stratégie internationale, notamment en Europe et en Asie-Pacifique. Mais il faut bien rappeler qu’aujourd’hui, nous restons deux entités totalement indépendantes. Robinhood est coté en Bourse aux États-Unis, avec son propre management. De notre côté, nous fonctionnons aussi de manière autonome. Les synergies produits et marchés ne pourront vraiment démarrer qu’après la finalisation du changement de contrôle.

“Ce sont deux marques fortes, avec des ADN bien distincts”

La marque Bitstamp va-t-elle subsister ou être absorbée par Robinhood ?

Aucune décision définitive n’a été prise pour l’instant. Des discussions sont en cours sur le positionnement de marque selon les régions, les segments de marché et les produits. Ce sont deux marques fortes, avec des ADN bien distincts. Ces réflexions stratégiques se poursuivront après la finalisation du rachat.

Vous fournissez une solution en marque blanche à Revolut. Avec le lancement de leur propre plateforme, Revolut X, comment évolue la relation ?

Notre modèle en marque blanche permet à des acteurs comme Revolut de proposer des services crypto sans avoir à bâtir toute l’infrastructure. Nous leur fournissons la liquidité, la conservation et notre expertise acquise en presque 14 ans. Notre partenariat est solide, de long terme, et nous continuons de les accompagner. Plus Revolut développe son activité, plus cela crée des opportunités pour Bitstamp. C’est une relation gagnant-gagnant.

Le marché de la marque blanche est très concurrentiel en Europe, avec Bitpanda qui travaille notamment avec Lydia ou N26. Comment vous différenciez-vous ?

L’ensemble du secteur est concurrentiel, mais sur la marque blanche, la vraie différence se fait au niveau réglementaire. En fonction des licences disponibles, chaque acteur peut viser certains marchés et pas d’autres. Il ne s’agit donc pas tant d’un écart technologique que de conformité locale. Nous sommes particulièrement enthousiastes car plusieurs clients globaux de grande envergure sont actuellement en train de s’intégrer à Bitstamp – mais nous ne pouvons pas encore les nommer publiquement.

Où en êtes-vous de l’obtention de la licence MiCA ?

Bitstamp Europe est implanté au Luxembourg depuis longtemps. Nous y avons obtenu notre première licence de paiement en 2016, et nous sommes enregistrés en tant que PSAN (ou VASP) depuis plusieurs années. Aujourd’hui, notre demande de licence MiCA est en phase finale de révision. Si tout se passe bien, nous devrions l’obtenir ce trimestre. En parallèle, nous avons aussi d’autres dossiers en cours dans d’autres régions du monde. Avec l’acquisition par Robinhood, cela ferait trois bonnes nouvelles majeures pour nos clients.

“L’objectif est clair : reproduire en Asie ce que nous avons bâti en Europe”

L’Asie a longtemps été un angle mort pour Bitstamp. Cela va-t-il changer ?

Notre activité en Asie-Pacifique est réelle et en croissance. Nous avons une équipe à Singapour depuis plusieurs années et travaillons activement à l’obtention d’une licence sur place. Cela prend du temps, mais ce sésame nous permettrait d’accélérer sérieusement. Nous avons déjà des clients actifs, mais cette autorisation ouvrirait de nouvelles portes, surtout après le rachat. L’objectif est clair : reproduire en Asie ce que nous avons bâti en Europe, avec une offre complète et segmentée.

Pourquoi avoir choisi le Luxembourg comme base européenne ?

C’est lié à l’histoire de Bitstamp. Fondée en 2011 en Slovénie par deux jeunes entrepreneurs, l’entreprise cherchait à s’installer dans un pays où elle pourrait être régulée. En 2014, quand j’ai rejoint Bitstamp, nous étions dix personnes. Après avoir exploré plusieurs options, le Luxembourg est apparu comme la seule juridiction véritablement ouverte à l’époque. On y a obtenu notre licence de paiement en 2016. Depuis, c’est devenu notre cœur européen.

Le pays présente plusieurs avantages : un régulateur sérieux et proactif, un écosystème international, la présence d’acteurs comme PayPal, Bitflyer ou Zodia, et une position géographique centrale. C’est un État pro-blockchain qui a toujours soutenu notre développement.

Robinhood opère en Europe via la Lituanie. Tout sera-t-il transféré au Luxembourg après le rachat ?

Je ne peux pas me prononcer sur la stratégie de Robinhood. Ce qui est certain, c’est que pour Bitstamp, rien ne change. Nous sommes bien implantés, reconnus par nos clients institutionnels et retail, et il n’y a aucune raison de déménager.

Certains actionnaires de Revolut voudraient quitter la Lituanie pour des raisons de crédibilité. Cette juridiction est-elle un frein pour vous aussi ?

Dans tous les scénarios envisagés, le Luxembourg reste l’ancrage naturel de Bitstamp en matière d’activité crypto. Nous y sommes solidement implantés, avec toutes les autorisations nécessaires. Pour nos clients institutionnels, c’est un gage de sérieux. Très honnêtement, peu d’entre eux connaissent les subtilités de chaque juridiction, mais ils savent qu’on est au Luxembourg, qu’on est régulé, et cela leur suffit. La Lituanie est aussi une juridiction crédible et dynamique dans l’UE. Peu importe les choix de Robinhood pour ses opérations européennes, nous serons bien positionnés.

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Comment décririez-vous votre empreinte institutionnelle aujourd’hui ?

Entre 2011 et 2015, notre base client était essentiellement retail. En 2014, nous avions environ 20 000 clients, pour la plupart des particuliers. Mais à partir de 2015-2016, un vrai tournant s’est opéré. Les institutions ont commencé à s’intéresser sérieusement aux cryptos. On a vu arriver des acteurs de plus en plus sophistiqués, encouragés par une meilleure régulation et une compréhension accrue des enjeux. Aujourd’hui, nous avons 5 millions de clients, avec une part institutionnelle de plus en plus importante. Le modèle a évolué du tout-retail vers un mix, voire un biais institutionnel.

L’arrivée des ETF, l’intérêt des family offices, des asset managers ou des fonds de pension ont encore accéléré cette mutation. À terme, on anticipe une troisième phase : celle des États, qui s’intéressent aux stablecoins comme outil de réserve ou d’émission monétaire. Bitstamp est bien positionné, avec une solide réputation, une régulation claire et des solutions adaptées aux exigences de ces clients institutionnels.

“Nous voulons une offre responsable, alignée avec la réglementation et destinée à un public averti”

Vous avez récemment obtenu votre licence MiFID. Depuis quand exactement ?

Nous avons obtenu cette licence fin octobre 2024, donc il y a environ cinq à six mois. C’est une étape importante, car elle nous permet de lancer des produits dérivés de manière régulée en Europe. C’est un marché très encadré, et cette licence ouvre de nombreuses opportunités.

Vous avez obtenu la licence MiFID en partant de zéro. Pourquoi ne pas avoir racheté une société déjà licenciée, comme vos concurrents ?

Nous avons en effet monté la demande nous-mêmes, depuis la Slovénie, notre pays d’origine. Cela a pris un an et demi, ce qui est rapide dans ce domaine. Certains concurrents ont préféré acquérir des entités déjà régulées. Mais au final, le processus est presque aussi long : il faut gérer les due diligences, les changements de contrôle, les intégrations… Monter le dossier en interne nous a permis de maîtriser les coûts, les délais, et surtout de garder la main sur le processus. C’est une stratégie qui s’est révélée payante.

Quand vos produits dérivés seront-ils disponibles ?

Notre priorité est de proposer une solution impeccable, conforme aux meilleurs standards. Et cette offre de produits dérivés sera aussi disponible en marque blanche. Nos partenaires qui utilisent déjà notre solution spot pourront facilement ajouter le module dérivés, ce qui renforce fortement leur proposition de valeur.

Ces produits dérivés seront-ils accessibles aux particuliers ?

Oui, mais pas à tout le monde. Il faudra avoir le statut de client professionnel, comme le prévoit le cadre MiFID. Un particulier totalement novice n’y aura pas accès. En revanche, un investisseur individuel qualifié pourra utiliser ces produits, sous certaines conditions. C’est un choix assumé : nous voulons une offre responsable, alignée avec la réglementation et destinée à un public averti.

Envisagez-vous de les proposer aux États-Unis ?

Pas dans l’immédiat. Il nous faudrait des licences spécifiques aux États-Unis, que nous n’avons pas aujourd’hui. Pour l’instant, nous nous concentrons sur le marché européen, qui est notre priorité. Une fois l’acquisition finalisée, nous pourrons étudier cette option avec Robinhood.

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