Daniel Seifert (Coinbase): “Ce serait dommage que l’Europe perde sa position de leader”

Présent à Paris pour la PBWS, Daniel Seifert, responsable Europe de Coinbase, détaille la stratégie du géant américain sur le Vieux Continent. Expansion, MiCA, EURC : il livre sa vision du marché européen et des défis à venir.
Que peut-on dire du développement de Coinbase en Europe ?
C’est une question très large, mais je dirais que nous sommes extrêmement engagés dans la région. Nous sommes vraiment très heureux de servir les clients européens. Il y a eu une grande impulsion il y a deux, trois ans environ, pour l’internationalisation chez Coinbase. C’est venu d’une prise de conscience de Brian Armstrong à l’époque : si vous voulez augmenter la liberté économique dans le monde, le monde ne se limite pas aux États-Unis. Il faut s’ouvrir à l’international. Dans ce cadre, nous avons donc réalisé des investissements importants, embauché de nombreux cadres dirigeants, dont moi-même, pour renforcer notre présence locale en Europe.
Combien de personnes travaillent pour Coinbase en Europe ?
Je ne peux pas vous donner les chiffres exacts, parce que nous sommes une entreprise cotée en bourse et je dois donc rester prudent. Mais disons que c’est un chiffre à trois chiffres, et que cela a beaucoup grandi ces deux dernières années.
La majorité est en Irlande ?
En réalité, nous sommes présents dans plusieurs pays d’Europe. C’est amusant que vous mentionniez cela, car Londres a été notre premier point d’ancrage. Pour une entreprise américaine, la proximité linguistique joue un rôle. Londres était, avant le Brexit, un endroit clé pour la finance. Puis, après le Brexit, nous avons dû trouver une “maison” européenne. L’Irlande est apparue comme un choix naturel : on y parle anglais et elle propose un environnement favorable. Nous avons donc déplacé une grande partie de notre activité en Irlande et renforcé notre présence locale.
Mais depuis, notre stratégie a évolué : nous construisons désormais à partir des marchés pour les marchés. Par exemple, nous avons obtenu une licence auprès de la BaFin en Allemagne en 2021. Nous avons constitué une équipe locale en Allemagne, puis nous nous sommes installés en France il y a un peu plus d’un an. Et depuis, nous continuons à évaluer les opportunités marché par marché en Europe.
Quels sont vos principaux marchés en Europe aujourd’hui ?
C’est assez classique. Nous sommes le leader du marché au Royaume-Uni : Coinbase est le plus grand acteur crypto là-bas. Ensuite, nous occupons des positions de leader dans tous les pays où nous sommes enregistrés. Nous avons des enregistrements en France, aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne, et nous détenons une licence en Allemagne.
“Paris et la France disposent d’un écosystème très fort et dynamique, presque sans équivalent”
Selon vous, quels pays européens montrent le plus d’intérêt pour la crypto du côté des utilisateurs particuliers ?
Ah, vous testez mes connaissances des données ! (rires) Pour être totalement précis, il faudrait que je revoie les dernières statistiques, ce que je n’ai pas fait depuis trois mois environ. Mais je peux vous donner une réponse basée sur mon ressenti. Paris et la France disposent d’un écosystème très fort et dynamique, presque sans équivalent. Berlin aussi est un écosystème incroyablement florissant. L’Ethereum Foundation a d’ailleurs son plus grand bureau mondial à Berlin, dans le quartier de Kreuzberg.
Londres, bien sûr, possède aussi beaucoup d’atouts, notamment grâce à son vivier de talents dans la fintech. Beaucoup de professionnels de la fintech sont passés à la crypto, et le gouvernement britannique encourage l’innovation et l’investissement. Donc voilà : Paris, Berlin et Londres sont selon moi des écosystèmes extrêmement solides, même si ce n’est pas une réponse purement “data”.
Ma question concernait les utilisateurs particuliers, mais pour les clients institutionnels, quel est le pays le plus dynamique ? Est-ce la France ?
Vous savez quoi ? Cela suit des tendances assez proches de celles de la finance traditionnelle. Si on avait eu cette conversation il y a dix ans, je vous aurais dit sans hésiter : Londres. Mais depuis le Brexit, la France a repris beaucoup de terrain. Elle a énormément investi dans son écosystème financier et institutionnel, et cela se voit. Donc oui, pour moi, la France est devenue un acteur majeur.
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Comment décririez-vous vos relations avec les banques françaises ? Est-il facile d’échanger avec elles ?
Nous discutons avec des banques partout dans le monde. Si l’on remonte dix ans en arrière, ouvrir simplement un compte bancaire pour une entreprise crypto était une tâche extrêmement compliquée. Progressivement, de nouvelles banques, souvent des start-ups, ont été plus ouvertes envers les entreprises crypto. Aujourd’hui, même de grandes banques institutionnelles s’y intéressent activement. Elles voient la crypto non seulement comme des clients potentiels, mais aussi comme un secteur qu’elles peuvent intégrer à leurs propres offres.
Ce mouvement a commencé dès 2016-2017, mais s’est renforcé récemment, notamment aux États-Unis avec l’arrivée d’une nouvelle administration plus ouverte. On voit désormais des géants comme Bank of America envisager d’émettre un stablecoin. Il y a clairement une dynamique renouvelée.
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“Nous avons été choisis comme dépositaire pour le nouvel ETP de BlackRock lancé en Europe”
Vendez-vous des services de conservation (custody) aux banques traditionnelles pour leurs activités crypto ?
Oui, absolument. D’ailleurs, comme vous le savez sûrement, nous sommes le dépositaire de référence pour 9 des 11 ETF spot Bitcoin aux États-Unis. Et récemment, il y a environ une semaine, nous avons été choisis comme dépositaire pour le nouvel ETP de BlackRock lancé en Europe. Cette tendance devrait s’accélérer maintenant que les géants américains cherchent aussi à s’imposer en Europe.
Quelle sera votre stratégie dans les prochains mois : développer des partenariats avec des influenceurs crypto ou adopter une approche marketing plus traditionnelle, “TradFi” ?
Chez Coinbase, notre mission est d’augmenter la liberté économique dans le monde. Historiquement, nous avons commencé avec les particuliers, puis nous avons évolué vers l’institutionnel à partir de 2016-2017. Et plus récemment, vous avez vu des initiatives comme Base, le Coinbase Developer Program, Coinbase Wallet… Nous essayons désormais de construire un véritable écosystème autour de Coinbase.
Donc, pour répondre clairement : il ne s’agira pas d’un choix entre l’un ou l’autre, mais d’une combinaison des deux. Nous continuerons à consolider notre cœur de métier, tout en développant activement de nouvelles initiatives.
Peut-on imaginer des collaborations marketing en Europe avec Circle autour du stablecoin EURC ?
Alors, pour être précis sur ce sujet, il vaudrait mieux que Circle soit présent autour de la table. C’est important de ne pas parler d’eux sans leur présence. Mais ce que je peux vous dire, c’est que oui, nous avons une collaboration étroite avec Circle. Ils ont leur siège européen ici à Paris, ainsi qu’une licence EMI (Établissement de Monnaie Électronique) en France. Nous sommes très enthousiastes concernant l’EURC.
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Aux États-Unis, il existe beaucoup d’initiatives marketing autour de l’USDC, notamment autour des paiements du quotidien. Pourquoi ne voit-on pas la même chose en Europe ?
C’est une très bonne remarque. Vous avez raison : il y a une forte dynamique autour de l’USDC aux États-Unis, qui contribue à son adoption au quotidien. Peut-être que nous pourrions faire plus pour l’EURC ici en Europe, c’est quelque chose sur lequel nous devons réfléchir davantage.
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“Nous sommes actuellement en phase de candidature pour MiCA”
Comment avance votre processus d’obtention de la licence MiCA ?
MiCA est une avancée majeure pour l’industrie crypto et pour l’Union européenne dans son ensemble. C’est une réaction directe au projet Libra de Facebook, vous vous en souvenez sûrement. 2025 sera une année charnière. Certaines entreprises comme Bitpanda ou la Bourse de Stuttgart ont déjà obtenu leur licence. De notre côté, nous sommes actuellement en phase de candidature et tout se passe bien, mais comme pour tout processus réglementaire, il est difficile de prédire exactement quand cela aboutira.
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Quand aurez-vous une offre de produits dérivés crypto en Europe, qui génèrent aujourd’hui beaucoup de revenus pour les plateformes ?
Nous pensons que ces produits sont essentiels et doivent être proposés de manière sûre et régulée pour les consommateurs. Vous avez peut-être entendu parler de notre acquisition à Chypre : cela fait partie de notre stratégie pour offrir des produits dérivés en Europe en toute conformité. Nous finalisons actuellement les préparatifs avant de les lancer.
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Qu’est-ce que la France et la Paris Blockchain Week représentent pour vous ?
C’est toujours un plaisir de parler de la France. La Paris Blockchain Week est devenue un événement incontournable. Cela montre à quel point l’écosystème parisien est dynamique. Nous avons également une collaboration avec le projet français Morpho : aux États-Unis, nous proposons des prêts garantis par du Bitcoin grâce à leur technologie.
Ce qui est fascinant, c’est que pendant que l’Europe travaillait dur pour clarifier la réglementation, les États-Unis ont évolué très vite. Aujourd’hui, l’Europe risque de perdre son avance. Là-bas, les entreprises peuvent désormais proposer des innovations comme la tokenisation d’actions ou les prêts Bitcoin-backed presque immédiatement, alors qu’en Europe, c’est un processus qui peut prendre plusieurs années. Ce serait dommage que l’Europe perde sa position de leader.
Quel type de licence faudrait-il en Europe pour proposer du prêt garanti en Bitcoin ?
Il faudrait demander à un avocat, mais probablement une licence bancaire complète. Ce n’est pas aussi simple que d’avoir une licence MiCA et de tout pouvoir faire.
À long terme, Coinbase envisage-t-elle d’obtenir une licence bancaire en Europe ?
Franchement, c’est difficile à dire. C’est peut-être une question pour Brian Armstrong lui-même. Ce que nous voulons, c’est continuer à accroître la liberté économique et à accompagner les utilisateurs dans leur parcours crypto. Si un jour cela passe par une licence bancaire, pourquoi pas. Mais pour l’instant, ce n’est que de la spéculation.
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.


