Adam Back : “Lorsque Strategy aura une capitalisation de 1 000 milliards de dollars, ils auront des options stratégiques illimitées”

Adam Back : “Lorsque Strategy aura une capitalisation de 1 000 milliards de dollars, ils auront des options stratégiques illimitées”

Adam Back, figure majeure de l'écosystème Bitcoin et cofondateur de Blockstream, anticipe une accélération de l'adoption du bitcoin. Selon l'Anglais, cette croissance sera principalement tirée par les entreprises, notamment les Bitcoin Treasury Companies comme Strategy, qui devraient s'imposer comme des acteurs économiques de premier plan.

The Big Whale : Vous répétez souvent que la grande force du bitcoin, c'est d'être à la fois un moyen de paiement et une réserve de valeur. Mais est-ce vraiment possible ?

Adam Back : Ce qui confère de la valeur au bitcoin, c'est évidemment sa capacité à conserver la valeur, mais sa fonction de moyen de paiement et d'accès aux services financiers est aussi fondamentale.

Aujourd'hui, selon l'OCDE, près de 50 % de la main-d'œuvre mondiale n'a pas accès au système financier : ils sont sans compte bancaire, sans contrat de travail, souvent payés en espèces. Ces personnes n'ont aucun accès à l'économie. Bitcoin leur offre cette opportunité, ce qui est aussi un énorme avantage pour l'économie.

Dans les pays émergents, le bitcoin est surtout adopté pour les paiements, notamment via le Lightning Network. Dans les pays développés comme ici en France, où l'accès bancaire est facile, Bitcoin est davantage un investissement.

Même si nous n'utilisons pas le bitcoin au quotidien, il est logique d'y investir, tout comme il était logique d'investir dans les actions Internet au début de leur adoption.

Cela dit, c'est avant tout Bitcoin en tant qu'investissement — et non comme outil de paiement — qui influence son prix, car la "vélocité" des paiements est très rapide : les commerçants convertissent souvent immédiatement les bitcoins reçus en monnaie locale.

En comparaison, l'investissement est à long terme : on achète et on conserve. Ce phénomène a un impact beaucoup plus important sur la dynamique du prix.

Bitcoin n'est pas seulement perçu comme un moyen d'investissement par les particuliers, mais aussi par les entreprises et les États. Comment percevez-vous ce mouvement ? Et imaginiez-vous cela il y a 15 ans ?

Il était difficile de prévoir exactement comment les choses évolueraient. Dans notre écosystème, nous avons toujours été convaincus que Bitcoin est une excellente idée : un actif rare, précieux. Mais du point de vue des institutions traditionnelles — fonds souverains, fonds de pension, grandes banques — Bitcoin était perçu comme extrêmement risqué.

Ce qui change aujourd'hui, c'est la réduction du risque perçu grâce à des signaux forts, comme l'approbation récente des ETF Bitcoin spot aux États-Unis. Chaque avancée réglementaire, chaque produit lancé par une institution majeure contribue à légitimer Bitcoin.

Nous assistons à une accélération : chaque semaine, une grande institution annonce un nouveau projet lié au bitcoin ou recommande une exposition à ses clients. C'est aussi ce qu'on observe avec les entreprises qui intègrent Bitcoin à leur trésorerie.

À moyen et long terme, cette dynamique d'adoption institutionnelle est extrêmement positive pour le bitcoin et devrait mécaniquement soutenir son prix.

En parlant d’entreprises : en 2020, Michael Saylor a surpris tout le monde en annonçant que Strategy (ex MicroStrategy) adopterait le bitcoin comme stratégie de trésorerie. Vous aviez soutenu cette décision dès le début. Pourquoi considérez-vous que c’est la meilleure façon de gérer une trésorerie aujourd'hui ?

La capacité d'épargner sans voir son pouvoir d'achat constamment érodé est un besoin fondamental. Si l’on ne peut pas protéger son épargne, quel est le sens de travailler dur ou de planifier l'avenir ?

Selon la pyramide de Maslow, l'eau est tout en bas dans les besoins physiologiques, et nous devrions ajouter le bitcoin dans la pyramide de Maslow, pourquoi pas un peu plus haut là où il y a les besoins de sécurité. Le bitcoin est indispensable pour les gens parce qu’il permet de sécuriser la valeur dans le temps.

Ce problème concerne les individus et évidemment aussi les entreprises. En fait, on a réussi dès 2023 avec Blockstream (Adam Back est cofondateur, NDLR) à convaincre nos premiers investisseurs d'allouer une partie de leur capital d’investissement directement en bitcoin. Nous avons donc été parmi les tout premiers à avoir du bitcoin en trésorerie.

Il faut mentionner aussi Trace Mayer, qui investissait déjà dans des startups Bitcoin dès 2012-2013. Il investissait directement en bitcoin, refusant de donner des dollars ou des euros. Il voulait que les entreprises conservent ces bitcoins sans les vendre, et pour les rassurer, il offrait même une option de vente gratuite : si le prix baissait, il leur promettait de leur fournir plus de bitcoins. Il était très en avance sur son temps.

Et pour les entreprises, quel a été le déclic ensuite ?

Le vrai déclencheur a été la politique monétaire des banques centrales pendant le Covid : l'énorme quantité de monnaie imprimée a entraîné une inflation massive des actifs, notamment des prix de l'immobilier, qui augmentent de 10 à 15 % par an.

Les entreprises, traditionnellement, gardent leur trésorerie en obligations d'État, mais avec des taux d'intérêt faibles — voire négatifs en Suisse, France, Allemagne — elles perdaient de l'argent. C’était catastrophique pour des sociétés ayant de grosses réserves de cash.

Vous avez un exemple concret ?

Une entreprise que je connais avait environ 500 millions de dollars en cash. C'était une société existant depuis 20 ans, sans croissance rapide.

Le dirigeant a vu ses réserves fondre de 10 % par an. Il a envisagé d’acheter de l’immobilier ou d'autres actifs. Puis, un ami, Eric Weiss, lui a suggéré de s'intéresser à au bitcoin. Il a donc passé du temps pendant le COVID à étudier cela, a commencé à acheter en nom propre, puis avec l'entreprise - après approbation interne.

Ce changement a-t-il transformé la stratégie de l’entreprise ?

Oui, totalement. De simple protection de trésorerie, ils sont passés à une stratégie active avec du bitcoin, avec une approche de levier intelligent, tout en conservant une petite activité d’intelligence économique.

Ce qu'ils ont aussi découvert, c’est qu’en tant qu’entreprise, ils avaient des avantages d’accès au levier sans liquidation forcée, contrairement aux particuliers.

C’est-à-dire ?

Une entreprise peut emprunter sur la base de sa note de crédit, comme en émettant une obligation, à long terme, et utiliser la valeur de l’entreprise en garantie ; cela permet d’éviter les liquidations sur des fluctuations de prix.

En plus de cela, leur valorisation boursière est devenue supérieure à la valeur de leurs avoirs en bitcoin, grâce aux anticipations de croissance future.

N'est-ce pas contre-intuitif que la valorisation de l'entreprise soit supérieure aux avoirs ?

Cela peut sembler effectivement surprenant, mais en réalité c'est assez logique : les investisseurs évaluent ce qu'ils pourront accumuler dans 10 ans. Par exemple, Strategy a augmenté le nombre de ses bitcoins par action de 73 % en 2023, et une entreprise comme The Blockchain Group a fait encore beaucoup plus (+1300%). Les marchés anticipent cette croissance.

Mais n'y a-t-il pas un risque, notamment si un Bear Market survient ?

Bien sûr, mais je pense que le cycle des 4 ans avec le Halving reste très pertinent. Même si la réduction de moitié de la récompense paraît moins importante en pourcentage aujourd'hui, la quantité de bitcoins stockés hors des plateformes progresse. Le halving garde donc son influence.

Et pour ce qui est de la gestion des risques pour une entreprise ?

Prenez MicroStrategy : ils ont émis des obligations convertibles avec une prime de conversion de 50 %, ce qui leur donne un bitcoin 33 % moins cher, si l'on considère la dilution. Même en cas de baisse, ils peuvent refinancer par émission d'actions. Et statistiquement, il est improbable que le bitcoin soit plus bas dans 5 ans. C'est donc une façon presque parfaite de gérer la trésorerie.

Et quid de l'intérêt des actionnaires d'une Bitcoin Treasury Company ?

Il y a un critère clair : l'évolution du nombre de bitcoin par action. Tant que ce chiffre progresse, c'est positif. En tant qu'investisseur individuel, on n'a pas accès aux mêmes leviers qu'une entreprise, donc investir via une société donne accès à une stratégie de croissance plus puissante.

Vous mentionniez également The Blockchain Group. En quoi est-ce différent ?

The Blockchain Group a innové avec une dette convertible basée sur le bitcoin directement. Même si le bitcoin reste en dessous de 120 000 dollars pendant cinq ans, l'entreprise pourra rembourser en bitcoin qu'elle détient déjà. Cela élimine le risque extrême de devoir vendre en perte.

Et sur la durabilité de ce modèle, notamment par rapport à l'activité opérationnelle de l'entreprise ?

Je pense que beaucoup de gens confondent l'activité opérationnelle et la gestion de trésorerie. Acquérir massivement du bitcoin n'empêche pas de poursuivre l'activité normale. Au contraire, cela donne une audience mondiale, plus de ressources et plus de flexibilité pour lancer de nouveaux produits. C'est donc un modèle très soutenable.

Au bout du compte, ce que font les Bitcoin Treasury Companies, c'est recapitaliser leur activité. Et en faisant cela, elles seront les mieux positionnées dans 5 à 10 ans pour s'adapter au monde dans lequel nous évoluerons.

Même si la croissance du prix du bitcoin ralentissait, passant d'un taux de croissance annuel composé (CAGR) de 60 % à 20 %, voire 10 % — et qu'il devienne le standard mondial pour le stockage de valeur —, les entreprises qui auront accumulé le plus de bitcoins seront les mieux placées pour mener toutes sortes d'activités financières ou opérationnelles.

Il est important de rappeler que, pendant des décennies, les entreprises se sont principalement concentrées sur leurs opérations et ont négligé leurs bilans. Aujourd'hui, à mesure qu'elles renforcent leurs bilans, certains critiquent cela en disant que “ce n'est pas durable”, mais ils oublient qu'un bilan plus solide permet d'augmenter la capacité opérationnelle sur le long terme.

Lorsque Strategy atteindra une capitalisation de 1 000 milliards ou même 10 000 milliards de dollars, elle aura des options stratégiques illimitées.

Aujourd'hui, les revenus des mineurs viennent principalement de la création monétaire. Comment voyez-vous l'évolution dans les décennies à venir ? Bitcoin sera-t-il toujours viable en ne reposant que sur les frais de transaction ?

Je ne suis pas très inquiet à ce sujet parce que, historiquement, le bitcoin a plus que doublé tous les quatre ans, et cela va probablement continuer pendant encore une ou deux décennies. Il y a aussi eu des périodes où les frais de transaction étaient déjà assez élevés.

Au final, les détenteurs de Bitcoin veulent que le réseau fonctionne. Même si le minage n'était plus rentable, les détenteurs de bitcoins auraient tout de même intérêt à investir — peut-être 1 % de leurs avoirs — pour sécuriser le réseau.

On peut voir un exemple similaire avec le peering sur Internet. Les fournisseurs d'accès Internet (FAI) acheminent souvent le trafic des autres sans forcément en tirer un profit direct — c'est une forme de coopération économique pour maintenir le système.

Je pense que quelque chose de similaire peut se produire avec Bitcoin. Et si on compare à l'industrie bancaire, la sécurité y est en réalité bien plus faible : si seulement une banque sur 10 000 imprime de l'argent sans se faire détecter par un audit, cela crée de la fraude dans le système. Bitcoin doit fonctionner, et la sécurité du réseau restera une priorité absolue.

Concernant les projets autour de Bitcoin — Babylon travaille sur le staking sur Bitcoin, et StarNet veut aussi construire sur Bitcoin. Que pensez-vous de ces initiatives ?

Pour être honnête, je suis assez sceptique concernant le staking (Babylon est l'un des principaux projets, ndlr). En général, dès que quelqu'un vous propose de “l'argent gratuit”, vous devriez vous demander : d'où vient vraiment ce rendement ? Et poser la question, c'est déjà y répondre.

Dans la plupart des modèles de staking, les rendements proviennent de la prise de risque spéculatif sur le token d'une autre chaîne ou d'une autre couche. Ce n'est pas de l'argent gratuit — c'est juste du risque caché, et parfois ce risque est considérable.

Je suis en revanche beaucoup plus optimiste concernant les layers 2 de Bitcoin. C'est un sujet très chaud en ce moment. StarkWare, par exemple, travaille sur les preuves à divulgation nulle de connaissance (”zero-knowledge proofs”) — des preuves d'exécution — qui feront probablement partie de la boîte à outils pour construire des couches 2 sûres sur Bitcoin.

Je trouve que ces projets et les innovations qu'ils portent sont très intéressantes. Je suis évidemment cela de près.

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