👉 Quand les jetons numériques transforment l'investissement
Dans le paysage financier, il existe de nombreux actifs. Les plus populaires sont les actions et les obligations. Désormais, ces actifs peuvent être divisés en de multiples fractions numériques, appelées jetons ou “tokens” .
Très vite, il est apparu que la tokenisation pouvait aller bien au-delà des seuls actifs financiers. Comme l'explique la banque américaine Citi dans un rapport récent : “Presque tout ce qui a de la valeur peut être représenté sous forme de token”. Cela peut concerner tout autant les biens immobiliers que les pierres précieuses ou les tableaux.
Tout cela est rendu possible par la rencontre de la blockchain - un grand livre de compte numérique - et du contrat intelligent - un programme informatique qui s'exécute automatiquement sur la chaîne de blocs -, deux inventions technologiques interdépendantes.
👉 À quoi cela sert-il de tokeniser un actif ?
L'intérêt principal de la tokenisation est de faciliter et d'élargir les possibilités de placement des petits investisseurs, c'est-à-dire vous et moi. Grâce à la tokenisation, nous sommes capables d'avoir accès à des actifs qui étaient autrefois réservés à des investisseurs institutionnels, tels que les banques ou les grandes entreprises.
Alors qu'il fallait des dizaines voire des centaines de milliers d'euros pour acheter une obligation d'entreprise (un titre de créance qui donne droit au versement d'intérêts à intervalle régulier), une toile, une pierre précieuse ou un appartement, il est désormais possible d'en acheter pour quelques dizaines ou centaines d'euros 💶. Au moins sur le papier, parce que la réglementation n'est pas encore aboutie. Aujourd'hui, vous pouvez surtout tokeniser les revenus d'un actif, mais pas encore l'actif en lui-même !
La tokenisation convient très bien aux marchés illiquides : ceux où il est difficile de disposer des fonds nécessaires pour acheter et vendre de manière rapide. C'est la raison pour laquelle les expérimentations en matière d'actifs tokenisés se sont par exemple très vite tournées vers l'immobilier.
👉 Où puis-je me procurer des actifs tokenisés ?
Il est possible d'acheter des actifs tokenisés de deux manières différentes : soit par l'intermédiaire d'une plateforme d'échange centralisée qui appartient à une entreprise ou une start-up, soit à partir d'un protocole de la finance décentralisée (Uniswap , par exemple).
Si l'on se limite aux plateformes d'échange centralisées, ces dernières peuvent se spécialiser dans la vente d'un seul type d'actif tokenisé du monde réel (on parle de RWA – Real World Asset - dans la DeFi) ou du monde financier 🏦. Elles peuvent aussi en proposer de plusieurs sortes.
Dans le premier groupe, RealT , Lofty , ou encore Fraktion , une start-up française, proposent de l'immobilier tokenisé. Agrokoten se spécialise dans les tokens de produits de base tels que le soja, le blé ou les céréales.
De son côté, Toucan Protocol fournit des crédits carbone tokenisés. Maecenas se concentre sur les “art tokens”, tandis que Paxos tokenise l'or.
Dans le second groupe, il y a des plateformes qui proposent une sélection d'actifs tokenisés. À titre d'exemple, Bitpanda fournit des ETF tokenisés et des métaux précieux tokenisés sur le palladium ou le platine. En plus de l'immobilier, Tangible propose d'autres actifs tokenisés tels que l'or, le vin haut de gamme et les montres.
Si l'on se concentre sur les titres financiers, Obligate permet d'acheter des obligations tokenisées d'entreprise. C'est un marché très porteur puisque les émissions obligataires sont souvent d'un montant élevé et très peu liquides.
L'investisseur particulier accède à ce type de placement de manière indirecte par l'intermédiaire d'une assurance vie ou d'une SICAV (société d'investissement à capital variable). La tokenisation obligataire simplifie également la vie des émetteurs qui n'ont plus à recourir aux banques pour assurer la syndication de leurs titres.
De son côté, MatrixDock se concentre sur les bons du Trésor tokenisés. Autre voie intéressante pour la tokenisation : le capital-investissement ou private equity tokenisé. C'est le créneau d’Aktionariat . Dans le même registre, il y a évidemment Kriptown en France, qui permet de tokeniser le capital des petites et moyennes entreprises - non cotées.
De nombreuses grandes banques commencent également à travailler sur des plateformes de tokenisation d'actifs : la Société Générale (SG Forge ), JP Morgan, Deutsche Bank et Goldman Sachs, par exemple. Aujourd'hui, leurs solutions sont réservées aux institutionnels (entreprises), mais elles pourraient les ouvrir progressivement aux particuliers.
👉 Comment acheter des actifs tokenisés ?
Acheter des actifs tokenisés n'est pas plus compliqué que d'ouvrir un compte-titres ou un plan d'épargne en actions (PEA) traditionnel. C'est même plus simple. Pour pouvoir investir à partir de plateformes d'échange centralisées, l'utilisateur doit en général se soumettre à un examen KYC (Know Your Customer) et AML (Anti-Money Laundering) minutieux et fournir la documentation requise (une pièce d'identité, etc.)
Une fois son compte vérifié et approuvé, l'utilisateur est prêt à investir. Pour commencer à acheter des actifs tokenisés, il doit au préalable fournir ses coordonnées bancaires et alimenter son compte. Certaines plateformes acceptent à la fois les paiements en monnaie fiat (euro, dollar, etc.) et en cryptomonnaies. C'est le cas de Brickken , par exemple.
Sur certaines plateformes ou pour accéder à la finance décentralisée (DeFi), il vous faudra d'abord créer un portefeuille numérique (wallet) qui permet de stocker les tokens achetés. Cela peut être fait avec Metamask ou Trust Wallet . En France, la start-up Ledger est spécialisée dans le cold storage, le stockage de vos cryptomonnaies via un wallet physique, les fameux Ledger Nano.
Par conséquent, l'accès aux tokens à partir de la DeFi (on parle de “finance désintermédiée” côté régulateur) nécessite quelques connaissances techniques. Pour résumer, il est plus simple pour un public non averti d'accéder à ces placements à partir de plateformes d'échange.
👉 Des obstacles à franchir, un potentiel immense
Alors que la tokenisation a vraiment commencé à émerger avec le lancement d'Ethereum en 2015, les actifs tokenisés sont encore peu connus du grand public et, par voie de conséquence, peu utilisés. Au moins quatre raisons peuvent expliquer leur progression poussive :
La tokenisation transforme l'architecture financière : les établissements financiers doivent assurer la transition de l'ancien modèle au nouveau, dit “on-chain”, basé sur la blockchain et les contrats intelligents. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. La mise à niveau ne peut s'effectuer que progressivement.Le flou réglementaire : le monde de l'investissement comporte des risques, et il est nécessaire d'avoir confiance dans les plateformes que l'on utilise. Or, en l'absence de règles du jeu claires, l'investisseur particulier peut légitimement se dire : “je n'y vais pas, c'est trop dangereux”. Nul besoin de rappeler les deux débâcles récentes provenant d'un émetteur de stablecoin (l'écosystème Terra) et d'une plateforme centralisée (FTX) qui ont beaucoup affecté le secteur.L'interopérabilité : il faut que les plateformes d'actifs tokenisés puissent communiquer entre elles afin de permettre l'achat, l'échange et la revente des tokens sans restriction.Le besoin de disposer d'applications ergonomiques et simples d'usage est un phénomène déjà vu dans l'histoire récente des technologies. L'un des meilleurs exemples est celui de Napster. En 1999, la société propose le premier magasin de musique en ligne. Il est trop rudimentaire pour séduire le grand public. Le marché ne prendra son essor que deux ans plus tard avec la sortie d'iTunes puis de l'iPod, le baladeur numérique qui va relancer Apple.En dépit de ces obstacles bien réels, 2024 pourrait bien être l'année du point de bascule dans la démocratisation des actifs tokenisés, avec l'arrivée de nouvelles plateformes sur le marché beaucoup plus ergonomiques que par le passé. Mieux encore : les perspectives sont très prometteuses.
Selon un rapport du Boston Consulting Group , l'un des plus grands cabinets de conseil en stratégie au monde, la tokenisation des actifs illiquides, tels que l'immobilier, l'art, les matières premières ou les infrastructures publiques, pourrait représenter un montant astronomique de 16 000 milliards de dollars en 2030 au niveau mondial, contre 2,75 milliards de dollars en 2023, selon des données de Galaxy Research. Oui, vous avez bien lu ! 😅
D'autres estimations sont plus prudentes mais restent impressionnantes. Dans un rapport plus récent que celui du BCG publié en mars, la banque américaine Citi prévoit que 4 000 milliards de dollars de titres numériques tokenisés et 5 000 milliards de dollars d'actifs en monnaie numérique de banque centrale (CBDC) pourraient circuler dans les principales économies du monde d'ici la fin de la décennie.
Même s'il faut toujours rester prudent avec ce genre de prédictions, le monde de l'investissement pourrait être demain bien différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Les gestionnaires d'actifs et les fournisseurs de services financiers l'ont d'ailleurs bien compris 🧠.