Polygon : les grands chantiers pour accélérer
Pionnier dans l’amélioration de la scalabilité d’Ethereum, Polygon propose une offre conséquente et diversifiée de solutions, mais il est parfois difficile de s’y retrouver. On fait le point sur ses différentes solutions.
"La multitude de produits lancés par Polygon est telle qu’on n’arrive plus à tous les nommer”, s’amusait il y a quelques jours une personnalité du secteur crypto. Il faut dire que depuis plusieurs mois, cet écosystème s'efforce de rester la principale porte d’entrée vers Ethereum, ciblant à la fois les entreprises crypto-natives et les entreprises traditionnelles, en offrant une vaste gamme de solutions.
Quentin de Beauchesne*, fondateur de Ownest et l’un des principaux validateurs du réseau Polygon, revient sur son développement éclair : “Polygon a connu le succès notamment parce qu’il fournissait l’une des seules solutions de scalabilité au moment où les frais de transaction explosaient sur Ethereum en 2021. Leurs équipes marketing ont aussi été très fortes pour aller chercher les entreprises traditionnelles”.
En conséquence, Polygon est devenue une marque bien établie, reconnue pour son excellence dans les relations B2B (Business to Business), attirant des entreprises de renom telles que Starbucks, Nike et Meta pour développer leurs projets Web3 en 2022.
“C’était indéniablement l’écosystème à la mode, certaines entreprises traditionnelles y allaient un peu par défaut parce qu’il y avait un effet d’entraînement et que l’expérimentation ne coûtait pas cher. Mais sur le long terme, ce n’est pas suffisant pour fidéliser”, souligne Stanislas Barthelemi, lead Blockchain & Crypto chez KPMG.
En effet, le ralentissement économique a quelque peu freiné cette belle dynamique avec l’arrêt de projets symboliques, comme ceux de Meta.
Ces derniers mois, Polygon a vu arriver une nouvelle vague de concurrents conçus sur des technologies de scalabilité d’Ethereum plus efficaces, les “Rollups” (Arbitrum, Optimism, Base, etc.).
La valeur immobilisée dans Arbitrum (2,1 milliards de dollars) surpasse désormais largement celle de Polygon (800 millions de dollars).
Face à ces défis, Polygon a initié des changements majeurs pour accélérer son développement.
👉 Migration de Polygon 2.0 programmée en mars 2024
Actuellement, Polygon fonctionne comme une sidechain d’Ethereum qui offre un nombre élevé de transactions par seconde, mais implique un niveau de sécurisation inférieur à celui d'une chaîne de Layer 2 fonctionnant avec des Rollups, car ces derniers s’appuient sur la sécurité d’Ethereum, qui est l’une des plus robustes du secteur.
Polygon se prépare ainsi à une importante mise à jour pour aligner ses produits et améliorer la sécurité de sa chaîne principale. Son nom ? Polygon 2.0.
Contrairement aux Rollups traditionnels, qui publient les données de transaction sur la blockchain Ethereum, cette itération stockera ses données hors chaîne avec un validium, une solution de scalabilité d'Ethereum. Cela signifie que seules les preuves de validité des transactions seront soumises à la blockchain Ethereum ; pas les données de transaction elles-mêmes.
L’avantage, c’est que Polygon 2.0 pourra traiter un grand nombre de transactions plus efficacement (on évoque 9000 par seconde contre moins de 200 aujourd’hui), mais la question de la meilleure sécurité de cette version est toujours contestée : comme toutes les données ne sont pas envoyées sur Ethereum, une partie des opérations dépendra toujours du réseau Polygon.
C’est donc mieux que la version historique, mais pas encore au niveau des ZK-Rollups traditionnels. En revanche, ces derniers sont en incapacité d’offrir un tel niveau de scalabilité.
Polygon 2.0 sera ainsi adapté aux projets ayant un volume de transactions élevé nécessitant de faibles frais (jeux, réseaux sociaux, petits projets DeFi, etc.).
A contrario, ceux sanctuarisant beaucoup de valeur, comme les grands protocoles DeFi, passeront leur chemin et préféreront des solutions plus sécurisées comme Ethereum ou les Rollups (voir dernière partie).
🗓️ La migration vers Polygon 2.0, débutée en juin dernier, devrait s'achever en mars 2024.
Un aspect crucial de cette transition sera l'ajustement des paramètres du token MATIC. “L'équipe derrière Polygon gère encore aujourd’hui une grande partie de la supply. Pour rémunérer les validateurs, ils sont en quelque sorte obligés d’envoyer les MATIC eux-mêmes, le protocole ne créant pas de nouveaux tokens pour récompenser le travail de validation”, indique Quentin de Beauchesne.
En devenant un vrai Layer 2, la distribution des MATIC, bientôt renommés POL, se fera automatiquement par inflation via le protocole, offrant plus d'options aux détenteurs qui pourront “valider plusieurs chaînes et jouer plusieurs rôles sur chacune d’entre elles", comme l’indique la documentation de Polygon.
👉 Une offre de “Roll-up-as-a-service” pour les entreprises qui veulent leur propre Layer 2
L’autre produit sur lequel Polygon compte beaucoup, c’est son Chain Development Kit (CDK) censé permettre à tous les projets de construire leur propre Layer 2.
“Cela permet de créer des blockchains personnalisées interopérables avec la chaîne principale de Polygon et les réseaux de son écosystème. Il s'agit d'une avancée significative dans l'offre d'un accès rationalisé à une liquidité unifiée par le biais d'un pont partagé basé sur le Zero-Knowledge”, écrit dans une note de recherche le gestionnaire d’actifs suisse 21Shares.
“L’ambition est claire : Polygon veut devenir une sorte de hub pour Layer 2”, analyse Stanislas Barthelemi.
Certains gros acteurs l’expérimentent depuis son lancement l’été dernier. La plateforme d’échange OKX, qui a lancé début novembre sa solution de seconde couche X1, fait partie de ces gros acteurs : “Nous pensons que Polygon possède les capacités techniques et les relations avec l'écosystème adéquates pour faire de X1 un réseau de Layer 2 de nouvelle génération qui favorise l'adoption du Web3 à grande échelle”, insiste un porte-parole d’OKX.
Quentin de Beauchesne voit dans cette tendance une opportunité pour Polygon : “Polygon capitalise sur sa bonne réputation auprès des entreprises pour leur proposer de lancer des Layers 2 qui répondent à leurs propres besoins. C’est une excellente idée de diversification”.
👉 Polygon ZkEVM peine encore à attirer
Pour Polygon, le grand défi sera de creuser son sillon dans le segment des ZkEVM, c’est-à-dire des solutions de scalabilité qui s’appuient à 100% sur la sécurité d’Ethereum (à distinguer de Polygon 2.0, donc).
Selon le co-créateur d’Ethereum Vitalik Buterin, c’est cette technologie qui deviendra la norme dans les prochaines années. Il est donc crucial de s’affirmer comme un leader dans ce domaine.
À ce jour, Polygon ZkEVM peine encore à attirer, en atteste sa faible valeur immobilisée par les projets qui l’utilisent (20 millions de dollars). C’est beaucoup moins que ses principaux concurrents ZkSync Era (145 millions de dollars) et Starknet (30 millions de dollars).
Cet écart s’explique notamment par son lancement récent (mars 2023), mais surtout par l’absence d’un futur token à distribuer.
Néanmoins, Polygon entend bien capitaliser sur sa technologie qu’il présente comme la meilleure au monde dans ce domaine. Pour se justifier, Polygon rappelle le rachat de la start-up Mir pour 400 millions de dollars fin 2021. “Cette acquisition est importante car Mir est un champion dans le domaine”, souligne Arthur** , Product manager chez la start-up française Nuant.
Reste à voir si ce coûteux rachat portera ses fruits, car l’innovation fait rage.
*Quentin de Beauchesne est actionnaire chez The Big Whale. **Il a souhaité rester anonyme.
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.