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Pablo Veyrat (Angle) : "On a failli tout arrêter"

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Pablo Veyrat (Angle) : "On a failli tout arrêter"

Pablo Veyrat (Angle) : "On a failli tout arrêter"Pablo Veyrat (Angle) : "On a failli tout arrêter"

Un peu plus de deux mois après le hack d’Euler Finance, Pablo Veyrat* revient sur cet épisode qui aurait pu emporter Angle. Le co-fondateur du protocole d’origine française revient aussi longuement sur l’avenir du stablecoin euro, agEUR, ainsi que sur les défis qui attendent la finance décentralisée !

C’était en 2019. J’avais évidemment suivi le Bull market de 2017 car j’avais des amis qui avaient investi, mais je n’avais pas trop cherché à comprendre. Pour moi ça avait tout l’air d’une bulle, d’un Ponzi 👀.

C’est vraiment lorsque j’ai pris le temps de comprendre les fondamentaux techniques des cryptos et surtout de la DeFi que j’ai eu un déclic. En 2020, j’ai décidé de m’y mettre totalement.

C’est allé assez vite… Vous avez immédiatement eu l’idée de créer le protocole Angle ?

J’ai d’abord postulé dans beaucoup d’entreprises crypto, mais elles n’ont pas voulu de moi (rires). Ce n’est qu’après que j’ai décidé de développer mon propre protocole, Angle, dont la fonction principale est d’émettre un stablecoin euro : le agEUR.

Avec le recul, je pense que c’est une bonne chose de ne pas avoir été retenu par d’autres entreprises.

Les stablecoins sont devenus un sujet majeur. L’ensemble des projets pèsent 130 milliards de dollars, mais pour quel usage concrètement ?

Je vais peut-être en décevoir certains, mais ça ne sert pas encore à grand-chose dans la “vraie vie”. Aujourd’hui, l’intérêt c’est de se transférer de l’argent. Quand j’envoie un stablecoin à l’autre bout du monde, ça ne coûte quasiment rien, et c’est très rapide. Pas plus de quelques minutes au maximum et ça fonctionne en continu.

Pour un virement bancaire en dehors de la zone euro, vous allez attendre plusieurs jours. Si vous êtes au milieu d’un week-end, au moment où les banques sont fermées, c’est encore plus long.

Je pense que les stablecoins ont beaucoup d’avenir pour assurer les virements transfrontaliers. D’ailleurs, la Société Générale a récemment lancé son propre stablecoin, CoinVertible, qui est un vrai cas d’usage.

Société Générale, via sa filiale Forge, travaille avec le protocole Maker (qui émet le stablecoin décentralisé DAI). Travaillez-vous aussi avec la Société Générale ?

Il y a des discussions bien avancées.

Voyez-vous d’autres utilités pour les stablecoins ?

L’autre “utilité” actuelle des stablecoins, qui est moins grand public, est la possibilité de générer du rendement. Dans ce qu’on appelle la finance décentralisée - même si je préfère le terme de “finance ouverte et composable” -, les stablecoins sont au centre de toutes les interactions. C’est un peu la pierre angulaire de la DeFi.

Les stablecoins interviennent lorsque vous contractez un prêt, lorsque vous prenez du levier, etc. Comme il y a beaucoup de volume autour d’eux, vous pouvez générer du rendement.

Notre vision, c’est que les détenteurs de stablecoins bénéficient d’un rendement car la réserve qui les soutient est constituée, par exemple, d’obligations d’État tokenisées.

Quel impact et quel intérêt pour l’économie réelle ?

Grâce à ces nouvelles infrastructures, les entreprises pourraient emprunter des stablecoins en mettant en garantie n’importe lequel de leurs actifs, ce qui n’est évidemment pas possible aujourd’hui. Cela permettrait ainsi de considérablement améliorer leur capacité de financement pour se développer 🚀.

Il y a encore beaucoup d’incertitudes réglementaires pour parvenir à ce système, mais notre objectif avec Angle est de fournir de la liquidité aux entreprises et aux particuliers. Le but n’est pas de rester en vase clos dans la DeFi, comme c’est encore trop souvent le cas.

Vous avez choisi de développer un stablecoin décentralisé, ce qui nécessite une infrastructure technologique complexe pour maintenir sa parité. Pourquoi ne pas avoir opté pour une solution simple et centralisée ?

Le fonctionnement d’un stablecoin centralisé n’est plus simple qu’en théorie. En réalité, cela demande beaucoup d’infrastructure réglementaire, des relations avec des banques, des cabinets d’audit, etc. C’est plus simple d’écrire soi-même le code !

Plus sérieusement, je pense qu’un stablecoin décentralisé peut fournir plus d’utilités. Sur Angle, les taux d’emprunts ne sont que de 0,5% d’emprunter parce c’est fixé au niveau du protocole. En revanche, si vous voulez emprunter de l’USDC (un stablecoin dollar centralisé) sur une plateforme, vous allez avoir des taux de 3% ou 4% car il y a de nombreux paramètres et d’intermédiaires qui entrent en jeu.

Selon moi, il y a aussi un avantage au niveau réglementaire. Lorsque j’emprunte de l’USDC, qui me garantie que celui à qui j’emprunte n’a pas financé la Corée du Nord ? Sur un protocole décentralisé, le stablecoin que j’emprunte est créé au moment où je fais l’opération. Nous sommes donc certains que le stablecoin est “propre” 🧐.

Le règlement européen MiCA, qui vient d’être adopté, définit un cadre pour les stablecoins centralisés. Savez-vous si cela vous concerne ?

C’est encore une zone d’ombre, donc il faut s’attendre à ce que les plateformes d’échange qui opèrent en Europe ne prennent pas le risque de nous lister pour éviter de potentiels problèmes. Pour anticiper, nous allons concentrer nos efforts pour devenir un leader au sein de la DeFi car cette partie du secteur n’est pas encore couverte par MiCA.

Lorsque les régulateurs travailleront sur le sujet, nous ferons en sorte d’être également leader sur la conformité, quitte à faire des sacrifices sur ce qu’on peut proposer…

Avez-vous des échanges avec les autorités à ce sujet ?

Nous essayons d’être pro-actifs. C’est pour cela que nous sommes membres de l’Adan (l’association professionnelle qui défend les intérêts du secteur, ndlr). J’ai déjà eu l’occasion d’échanger avec l’Autorité des marchés financiers (AMF), j’ai participé aux discussions qui ont mené à la publication d’un rapport du régulateur bancaire (l’ACPR), j’ai également rencontré le ministre délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous travaillons pour le développement de notre industrie. Nous ne sommes pas des anarchistes, nous n’avons rien contre l’État. Le but est d’améliorer la finance. Il faut juste que l’on nous donne les moyens de le faire.

Vous avez vécu récemment un moment très difficile avec le hack du protocole Euler Finance, qui a fortement touché Angle. Que s’est-il passé ?

Une partie des actifs d’Angle qui soutiennent notre stablecoin sont placés dans d’autres protocoles pour travailler et nous rapporter de l'argent. Nous le faisions dans Compound, Aave et Euler.

Malheureusement, ce dernier s’est fait pirater et nous avons perdu 18 millions de dollars 😬, ce qui représentait aux alentours d’un tiers des actifs totaux d’Angle.

Nous reviendrons après sur le piratage, mais n’était-ce pas un problème d’avoir autant d’argent sur un seul protocole ?

Ce n’était pas une erreur. La décision qui nous a amené à choisir ce type d’allocation avait été autorisée par un vote de la gouvernance. Tout était prévu.

Beaucoup l’ont oublié, mais avant le hack, Euler bénéficiait d’une excellente réputation. Je sais que d’autres auraient préféré mettre des plafonds, mais notre stratégie était la bonne.

Qu’avez-vous fait pour éviter un “bank run” de la part de vos utilisateurs qui ont dû se presser pour récupérer ce qu’il restait dans la réserve d’Angle avant les autres ?

Par chance le piratage a eu lieu un lundi matin et nous avons pu intervenir très vite. Nous avons mis le protocole en pause, car je suis signataire d’une multisig qui permet de le faire en cas d’urgence.

Au final, personne n’a pu profiter d’une asymétrie d’informations au détriment de ceux qui ignoraient ce qui était en train de se dérouler. Notre responsabilité, c’était de faire en sorte que tout le monde ait le même niveau d’information. Nous avons ensuite rapidement communiqué sur l’état de nos réserves afin que tout le monde puisse le vérifier.

Avez-vous envisagé de mettre Angle en liquidation ?

C’était l’une des options sur la table, nous avons failli tout arrêter, mais ce n’était pas la seule. Nous aurions aussi pu nous faire racheter par un autre protocole, lever des fonds avec Angle Labs (la société dirigée par Pablo Veyrat qui contribue au développement du protocole, ndlr) pour combler les pertes ou lors lever des fonds en cryptomonnaies via le protocole lui-même… Heureusement, tout est rentré dans l’ordre depuis.

Le hacker a en effet finalement renvoyé les fonds dérobés à Euler (après un accord prévoyant qu’il garde environ 10% du butin). Comment avez-vous vécu les négociations ?

Les hacks à 200 millions de dollars (le montant total dérobé sur Euler, ndlr) sont assez rares, et c’est encore plus rare quand l’auteur rend l’argent. De ce que je sais, l’équipe d’Euler a eu un rôle dans les négociations, mais j’ignore si c’est le FBI ou Euler qui a traité en direct avec le hacker 💸.

Avez-vous été, vous aussi, auditionné par le FBI ?

Oui, en visioconférence. Nous avons aussi été interrogés par le Département de la justice américain. Naturellement, nous leur avons dit tout ce que nous savions, mais je ne pense pas que nous leur ayons appris grand chose.

J’ai surtout expliqué pourquoi Angle avait placé autant de fonds dans Euler. Comme Euler, nous étions présumés coupables au départ.

Les autorités américaines sont traditionnellement très sévères avec les porteurs de projet crypto. Comment avez-vous été traité ?

C’est vrai que je n'étais pas très serein à l’idée de leur parler. Cependant nos investisseurs américains, qui nous ont fait l’introduction, m’ont immédiatement rassuré, et ça s’est très bien passé.

Comment la restitution des fonds s’est-elle déroulée ?

Pour être honnête, nous n’avons pas vraiment apprécié la méthode d’Euler, car les conditions étaient un peu arbitraires et nous estimons que certains autres créanciers ont été favorisés. Au final, nous avons perdu 100.000 dollars.

Néanmoins, comme le hacker avait rendu les fonds en ethers (ETH) et que son cours s’est apprécié, nous avons finalement gagné 1,5 million de dollars.

Finalement vous pouvez remercier le hacker, il vous a fait gagner de l’argent !

Le protocole finit dans une meilleure situation financière, mais j’aurais largement préféré éviter cet épisode. Il y a un vrai dommage réputationnel. Angle ne s’est pas fait hacker, mais nous sommes indirectement impliqués dans une affaire de piratage.

Traversez-vous une crise de confiance sur le protocole ?

C’est possible. Maintenant, notre travail est de rassurer, d’insister sur le fait que ce n’est pas Angle qui s’est fait hacker. J’ai été très agréablement surpris d’observer qu’il n’y a pas eu une grosse fuite de liquidité lorsque nous avons redémarré le protocole.

Seulement 8% des agEUR en circulation ont été brûlés par des gens qui voulaient récupérer leurs actifs. Cela montre que la majorité des gens ont toujours confiance dans le projet et que l’agEUR continue d’être utilisé comme avant.

Prévoyez-vous d'améliorer Angle pour éviter qu’un tel événement se reproduise ?

Nous travaillons sur deux choses : d’abord un nouveau système dans lequel le protocole ne serait pas autant affecté si cela se reproduisait. Puis, sur un dispositif qui rendrait Angle insensible à une perte de valeur de l’USDC (un actif qui constitue une part importante de la réserve d’Angle, ndlr) comme nous l’avons observé en mars lors de la panique bancaire aux États-Unis.

Notre ambition est de construire le protocole émetteur de stablecoins le plus robuste, résilient et autonome possible.

Avec de tels piratages, comment pensez-vous convaincre la finance traditionnelle de basculer un jour vers de solutions DeFi ? La frilosité de certains n’est-elle pas totalement justifiée ?

C’est sûr que ces situations ne sont pas une bonne publicité. Mais beaucoup ont tendance à oublier que la DeFi est quelque chose de très risquée 😅.

Personnellement, j'interagis uniquement avec des protocoles dont je sais que le code a été audité plusieurs fois et dont l’équipe a une excellente réputation. Mais parfois ça ne suffit pas, et Euler l’a très bien rappelé.

Comment instaurer de la confiance ?

En étant transparents et en acceptant que cela prenne du temps de créer un protocole solide. Cela peut être assez frustrant, mais je pense qu’il faut imposer des cycles de développement beaucoup plus longs dans notre secteur.

Dans le web2, une plateforme peut sortir une nouvelle fonctionnalité toutes les semaines sans prendre de gros risques, alors que dans le web3 nous avons besoin de plusieurs mois pour faire tous les tests et s’assurer qu’il n’y a pas de faille.

Je pense que des agences de notation spécialisées pourraient apporter de la confiance en évaluant les projets de manière totalement indépendante. Je sais que les agences traditionnelles, comme S&P et Moody’s, s’y intéressent.

Vous avez dit à plusieurs reprises vouloir faire du protocole Angle un “bien commun” qui appartient à tous. À quel point votre société, Angle Labs, exerce-t-elle de l’influence sur la gouvernance ?

Nous avons conçu le protocole, mais nous ne sommes plus aujourd’hui les seuls contributeurs. Nous avons moins de 25% des pouvoirs de vote. Preuve que le contrôle est décentralisé, un vote récent nous a mis en minorité.

Nous plaidons pour continuer à augmenter cette décentralisation, tout en étant conscients des défauts que cela peut avoir, notamment au niveau de l’agilité et des prises de décisions. J’espère néanmoins que nous continuerons à conserver une influence et que nous resterons écoutés lorsque nous ferons des propositions.

Combien êtes-vous dans l’équipe ?

Nous sommes actuellement neuf. Je souhaitais que nous restions une petite équipe pour être agiles et continuer à innover.

Angle Labs est enregistrée dans les Îles Vierges Britanniques. Pour quelle raison ?

Je précise tout de suite que ce n’est pas pour des raisons fiscales.

Pour quelles raisons alors ?

Avant tout parce que ce n’était pas possible d’un point de vue réglementaire de créer quelque chose comme Angle il y a encore deux ou trois ans. Nous avons domicilié Angle Labs notre activité dans les Îles Vierges Britanniques et nous rapatrions l’argent de là-bas vers la France. La structure française s’appelle Nocturlab. Elle facture des prestations à Angle Labs.

Si c’était à refaire nous ferions différemment, mais en 2020-2021 il y avait beaucoup d’incertitudes, et nous voulions protéger financièrement et légalement nos investisseurs, dont certains sont Américains. Ce sont d’ailleurs eux qui nous ont conseillé de faire ça.

Prévoyez-vous d’installer officiellement Angle en Europe ?

Le protocole n’a pas d’entité légale en soi, mais nous voulons concentrer l’activité en Europe et en France. Les débats sont encore en cours pour savoir quel statut il faut donner à une DAO (organisation autonome décentralisée, ndlr). C’est compliqué car tout est immatériel.

Est-ce que ça doit être une association ? Une coopérative ? Autre chose ? C’est encore incertain sur le plan juridique. Certains créent des fondations aux Îles Caïmans ou en Suisse, mais ça ne m’intéresse pas. Je veux que nous ayons pignon sur rue en France.

Parmi vos investisseurs, vous avez le célèbre fonds américain Andreessen Horowitz (a16z). Que vous apporte-t-il ?

Je les vois comme un membre supplémentaire de l’équipe, car ils ont de brillantes équipes de recherche. Chaque fois que nous imaginons de nouveaux concepts, nous échangeons avec eux. C’est une relation très riche, ils sont supers !

Il y a une personne à plein temps qui réfléchit avec nous, qui comprend très bien ce que nous faisons. Parfois ils vont même plus loin que nous dans les réflexions ! Ils nous sont aussi très utiles pour les questions juridiques, ainsi que pour le recrutement.

N’est-ce pas contradictoire d’être partisan de la souveraineté européenne et en même temps financé par un gros fonds américain ?

J’aurais préféré avoir uniquement des investisseurs français, mais le fonds a16z a beaucoup de choses à offrir et notamment une grande expertise technique sur nos sujets.

C’est aussi un fonds qui peut déployer beaucoup d’argent très rapidement. Cela a été un gain de temps énorme et le montant levé (5 millions de dollars au total) nous permet d’éviter de passer du temps à relever de l’argent. Nous avons encore deux ans de trésorerie devant nous, nous povons nous focaliser à 100% sur le développement.

Quel est leur poids dans la gouvernance du protocole Angle ?

Il est minime, car ils ne s’impliquent pas vraiment dedans. Ils n’ont même pas “lockés” leurs tokens dans le protocole pour voter les propositions soumises à la gouvernance. S’ils le faisaient, ils auraient un pouvoir de vote de 7,5%.

The Big Whale a organisé en février ses premiers "Web3 Awards" pour récompenser les meilleurs talents et projets de l'écosystème européen. Pablo Veyrat a gagné le prix du "Jeune talent Web3".

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