Même si la finance décentralisée (DeFi) porte de nombreuses promesses pour faire évoluer le système financier, elle présente encore peu de connexions avec le monde traditionnel et reste cantonnée à un usage 100% crypto. “Et parfois même de manière très peu efficace”, ironise un banquier français.
"De nombreux investisseurs institutionnels expriment encore beaucoup de réticences à adopter l'infrastructure proposée par DeFi. L'une des raisons, c'est le manque d'outils de traçabilité et d'identification des contreparties susceptibles d'interagir avec eux", explique Denis Alexandre, qui a notamment travaillé dans le domaine de la gestion des risques à la Société Générale.
La start-up française Morpho Labs, à l’initiative du protocole de prêts et d’emprunts décentralisé Morpho, entend répondre à ce problème en offrant la possibilité à n’importe quel acteur financier de créer ses propres marchés et avec ses propres règles, tout en bénéficiant de l’efficacité de la technologie de la blockchain Ethereum.
Bien que relativement récent (2021), Morpho Labs s’est taillé une belle réputation grâce à sa levée de fonds de 18 millions de dollars réalisée en 2022. C’est la plus grosse opération réalisée par un projet conçu par des étudiants, battant ainsi le record de Facebook. Le projet a attiré des investisseurs de renom, comme le fonds de capital-risque américain Andreessen Horowitz (a16z).
Jusqu’à aujourd’hui, Morpho se contentait de se brancher sur les grands protocoles de lending comme Aave et Compound afin d’optimiser leurs taux. “Mais nous avons rapidement atteint les limites du système ”, explique Paul Frambot, CEO de Morpho Labs.
Morpho Blue répond à un besoin clairement identifié
Début janvier, la start-up a dévoilé une nouvelle itération de son projet avec “Morpho Blue”, un protocole qui fonctionne en toute indépendance et qui est censé offrir la meilleure efficacité sur le marché. Son point fort : une infrastructure permissionless (sans permission) qui permet à n’importe qui de lancer des pools de liquidité ou des marchés. Autre avantage, Morpho a lancé MetaMorpho, une composante qui sera chargée de rediriger les utilisateurs vers les pools ou les marchés correspondant à leurs exigences de gestion des risques ou de conformité.
“Ces aspects devraient répondre aux besoins des banques ou des gestionnaires d’actifs car ils pourront limiter l’accès à certains participants régulés, tout en bénéficiant de l’efficacité de la finance décentralisée (DeFi)”, ajoute Paul Frambot.
Cette proposition est différente d’Aave, l'acteur historique du prêt et de l’emprunt en DeFi qui totalise aujourd’hui le plus d’actifs sous gestion avec 9 milliards de dollars. Le protocole lancé par Stani Kulechov en 2017 fonctionne comme une grande pool de liquidités sur laquelle n’importe qui peut déposer ou emprunter. C’est très efficace, mais cela ne répond pas aux normes de conformité des acteurs financiers.
Aave trop limité pour les institutionnels ?
“D’après nos échanges avec les géants de la finance traditionnelle, ces derniers ne sont pas à l’aise à l’idée de laisser la gestion des fonds à une organisation autonome décentralisée (DAO)”, confie Paul Frambot. “Ils redoutent aussi que leurs fonds soient mélangés avec ceux d’acteurs dont ils ne connaissent pas l’identité”, ajoute Paul Frambot.
“C’est un pari pour le moins audacieux”, explique de son côté Marc Zeller, à la tête de Aave Chan Initiative (ACI), une structure importante dans la gouvernance d’Aave. “Dire que Aave n’est pas scalable sur le long terme pour des raisons de conformité est un non-sens. Ce qui intéresse avant tout les institutionnels, c’est de disposer d’une liquidité suffisante et de taux attractifs. Nous avons les moyens de nous adapter à leur demande de conformité avec des offres sur mesure pour eux”, conclut-il.
Pour le moment, la version institutionnelle d’Aave (Aave Arc), lancée en 2022, n’a pas encore rencontré son public. Morpho Blue pourra-t-il faire mieux?
La croissance avant les revenus
Depuis le lancement de Morpho Blue, la start-up Morpho Labs a enregistré quelques succès en attirant le spécialiste de gestion des risques en crypto, Gauntlet , pour rejoindre son écosystème. Cette “prise” est significative dans la mesure où la société new-yorkaise travaillait avec Aave depuis quatre ans et était l’un de ses partenaires historiques. Morpho Blue a également été le premier à lancer une pool pouvant accueillir le stablecoin de PayPal, le PYUSD.
En un peu moins de deux mois, le protocole totalise plus de 160 millions de dollars d’actifs déposés. Un joli succès, mais dont le protocole - et l’entreprise Morpho Labs - ne retirent encore pas ou peu de revenus.
Une stratégie assumée par Paul Frambot. “Notre priorité est de constituer le plus grand réseau d’utilisateurs qui apporteront de la liquidité et prendront l’habitude de nous utiliser”, indique-t-il.
Selon nos informations, la société est suffisamment capitalisée et pourrait facilement lever de nouveaux fonds, avant d’avoir à mettre en place un système de frais. “Nous sommes dans une phase de croissance, c’est là-dessus que nous mettons les efforts”, conclut Paul Frambot.