The Big Whale : Quels sont les objectifs de l'Institut National Bitcoin ?
Alexandre Stachtchenko : Il est important de comprendre que nous ne sommes pas une organisation qui cherche à promouvoir Bitcoin pour Bitcoin, ou à favoriser les intérêts d'une communauté particulière. L'Institut National Bitcoin a pour but de favoriser la France et les Français à travers l'utilisation stratégique de Bitcoin. Concrètement, cela signifie que nous voulons apporter des analyses et des propositions qui permettent d'exploiter Bitcoin comme un levier de compétitivité et d'indépendance économique pour le pays.
Cela passe par plusieurs axes : d'une part, nous voulons favoriser la réflexion et proposer des idées innovantes sur les politiques publiques en lien avec Bitcoin. Par exemple, la question du minage et de son utilisation pour valoriser le surplus d'électricité en France est une piste sérieuse à explorer. D'autre part, nous aurons également un rôle de veille et d'éducation, en particulier sur le plan médiatique et politique.
En quoi votre initiative se distingue-t-elle de l'Adan, qui défendait jusqu’à présent les intérêt du secteur crypto ?
Nous ne sommes pas en concurrence avec l'Adan. L'Adan est une organisation professionnelle qui représente les acteurs du secteur des cryptos en France. Nous avons un angle différent : nous nous concentrons uniquement sur Bitcoin et son intérêt pour la France. L'Adan défend le secteur dans sa globalité et doit jongler avec des intérêts parfois contradictoires entre Bitcoin et d'autres actifs numériques. Cela signifie qu'elle ne peut pas toujours adopter une position 100 % relative à Bitcoin.
De notre côté, nous pouvons nous permettre d'aller plus loin en mettant en avant les spécificités de Bitcoin et son impact géopolitique. Là où l'Adan se concentre sur les entreprises et l'industrie, nous nous positionnons comme un think tank qui travaille sur les politiques publiques et la stratégie nationale. Notre but n'est pas de défendre les intérêts des entreprises Bitcoin, mais d'expliquer pourquoi Bitcoin est une opportunité pour la France. En nous concentrant uniquement sur Bitcoin, nous évitons aussi certains conflits d'intérêts qui peuvent exister lorsque d'autres cryptomonnaies sont présentées comme plus "vertes" ou plus adaptées à l'économie actuelle.
Bitcoin est régulièrement victime de désinformation ou de stéréotypes, comment entendez-vous lutter sur ce point ?
Lorsqu'un débat public déforme régulièrement la réalité de Bitcoin, nous voulons être en mesure d'apporter des corrections et d'utiliser les outils légaux à notre disposition pour contrer la désinformation.
“Veiller à ce que Bitcoin puisse être débattu sur des bases factuelles, et non sur des fantasmes ou des idées préconçues” Par quels moyens ?
Il ne s'agit pas de brider la liberté d'expression, mais de rétablir des faits lorsque Bitcoin est injustement accusé de financer le terrorisme ou d'être un outil criminel. Nous pourrions ainsi saisir les régulateurs des médias lorsqu'un discours erroné est diffusé à grande échelle et qu'il met en danger l'utilisation de Bitcoin en France. Il existe des instances de contrôle en France pour vérifier l'exactitude des informations diffusées au grand public, et nous comptons nous en servir si nécessaire.
Nous ne faisons que jouer avec les règles du jeu en place, et il serait absurde de ne pas le faire sous prétexte d'un purisme idéologique. Notre objectif est de veiller à ce que Bitcoin puisse être débattu sur des bases factuelles, et non sur des fantasmes ou des idées préconçues erronées.
Qui sont les premiers membres de l'Institut National Bitcoin ?
Nous avons une équipe de bénévoles qui produisent des analyses et des traductions d'études existantes. Nous avons la chance de compter parmi nos soutiens des personnalités engagées dans la réflexion sur Bitcoin, comme Éric Larchevêque (cofondateur de Ledger et Coinhouse, ndlr), mais nous ne cherchons pas à créer une liste exhaustive de membres. Nous voulons avant tout favoriser la production d'idées et influencer le débat public.
L'élection de Donald Trump et sa politique favorable aux cryptos ont-elles influencé votre initiative ?
Non, notre travail avait déjà commencé avant son élection. Toutefois, son positionnement pro-Bitcoin confirme que la distinction entre Bitcoin et les autres cryptos devient un enjeu central. Nous avons besoin de plus de voix pour expliquer cette différence et présenter Bitcoin comme un atout stratégique pour la France.
Nous avons vu aux États-Unis que l'argument économique et énergétique pouvait avoir un impact fort sur les décideurs politiques. L'exemple du Texas est particulièrement éloquent : l'État a intégré Bitcoin à sa stratégie énergétique non pas pour des raisons idéologiques, mais parce que cela sert ses intérêts. En France, nous devons adopter la même approche pragmatique : montrer en quoi Bitcoin peut être un atout pour le pays, notamment en termes de souveraineté énergétique et financière.
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“La mesure la plus immédiate serait d'utiliser le minage de Bitcoin pour valoriser le surplus d'électricité” Si vous aviez l'oreille du gouvernement, quelle mesure concrète proposeriez-vous en priorité ?
La mesure la plus immédiate serait d'utiliser le minage de Bitcoin pour valoriser le surplus d'électricité. Cela permettrait de réduire la dette d'EDF, de stabiliser le réseau et de constituer une réserve de Bitcoin sans dépenser d'argent public. Nous pourrions aussi relancer une filière industrielle de minage en France. En profitant de notre capacité énergétique sous-utilisée, notamment grâce au nucléaire, nous pourrions créer une dynamique économique autour du minage tout en renforçant notre souveraineté énergétique.
Il s'agit d'un cercle vertueux où l'on valorise notre production électrique excédentaire tout en constituant un actif stratégique. Si l'on pense à long terme, cela pourrait aussi encourager le développement d'une industrie matérielle liée au minage, ce qui éviterait une dépendance aux fabricants chinois. La France pourrait ainsi devenir un acteur de premier plan dans ce secteur, tout en consolidant sa place sur le marché international de Bitcoin.
L’angle de l’énergie est-il le plus pertinent pour “allumer une lumière” chez les responsables politiques ?
L’énergie est un sujet central dans toutes les discussions politiques, notamment en France où l’indépendance énergétique est un enjeu stratégique de premier ordre. Lorsqu’on aborde Bitcoin sous l’angle de l’énergie, on montre qu’il ne s’agit pas uniquement d’un actif financier spéculatif, mais aussi d’un outil permettant d’optimiser l’utilisation des infrastructures énergétiques existantes. L’exemple du minage est particulièrement pertinent dans ce contexte : il permet de valoriser le surplus énergétique, de stabiliser le réseau et d’améliorer la rentabilité des investissements dans la production d’électricité. Les États-Unis, et notamment le Texas, ont compris cet intérêt et l’ont intégré à leur politique énergétique.
En France, nous avons une production nucléaire excédentaire à certains moments et une volonté de renforcer notre autonomie énergétique. Le minage de Bitcoin pourrait être une solution pour améliorer le facteur de charge de nos centrales nucléaires et développer une industrie énergétique compétitive. L’approche énergétique a donc le mérite d’être pragmatique et difficilement contestable, car elle repose sur des faits économiques et techniques plutôt que sur des considérations idéologiques ou spéculatives.
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Comment approcher des entreprises comme EDF sur le sujet du minage de Bitcoin ?
Les grandes entreprises, en particulier les entreprises publiques comme EDF, doivent être abordées à travers une stratégie politique et économique cohérente. Dans le cas d’EDF, la décision d’utiliser Bitcoin pour valoriser l’électricité excédentaire peut venir de la direction, mais elle peut aussi être influencée par une volonté politique. Nous devons travailler sur les deux fronts : sensibiliser les décideurs industriels sur les avantages économiques de cette stratégie et convaincre les responsables politiques qu’il s’agit d’une opportunité stratégique pour la France.
Plus largement, le défi avec les grandes entreprises est de surmonter l’inertie administrative et de montrer que l’adoption de Bitcoin dans une stratégie énergétique ou financière ne représente pas un risque, mais une opportunité. Cela prendra du temps, mais nous avons déjà engagé des discussions et nous espérons voir des avancées dans les années à venir.
“Démontrer aux politiques que Bitcoin touche une population grandissante, notamment chez les jeunes et les actifs, et que prendre position sur ce sujet pourrait être bénéfique électoralement” Comment convaincre les politiques d'adopter Bitcoin alors que le sujet reste très clivant ?
Le sujet de Bitcoin est en effet encore perçu comme clivant dans la société et dans les médias, mais la tendance commence à changer. La stratégie pour convaincre les politiques repose sur deux aspects principaux : la compréhension et l'opportunisme électoral. D'abord, il faut travailler à une meilleure éducation sur le sujet, car beaucoup de décideurs ne font pas la distinction entre Bitcoin et le reste des cryptomonnaies. Cette confusion nuit au débat, car lorsqu'on parle de Bitcoin, on se retrouve souvent face à des objections basées sur des escroqueries, des projets frauduleux ou des promesses excessives associées à l'univers crypto au sens large. Notre rôle est de dissocier Bitcoin de ces pratiques et de le positionner comme un atout stratégique à part entière.
Ensuite, sur le plan politique, les stratégies électorales jouent un rôle majeur. Aux États-Unis, Trump s'est positionné sur Bitcoin car il a vu qu'un nombre croissant d'électeurs, y compris chez les démocrates, détenaient des bitcoins et que ce sujet pouvait influencer leur vote. En France, une approche similaire peut être adoptée : démontrer aux politiques que Bitcoin touche une population grandissante, notamment chez les jeunes et les actifs , et que prendre position sur ce sujet pourrait être bénéfique électoralement. Certains partis commencent à comprendre que s’ils ignorent Bitcoin, ils risquent de perdre des voix.
N’est-ce pas contre-intuitif pour un politique de soutenir Bitcoin, alors qu’il pourrait menacer l’euro ?
C’est une question qui est souvent posée, mais qui, à mon sens, n’est pas formulée de la bonne manière. L’objectif premier de la France doit être la défense de ses intérêts nationaux et de sa souveraineté économique. L’euro est un outil monétaire, et comme tout outil, il doit être évalué en fonction de ses avantages et de ses limites. Si l’euro est une monnaie résiliente et efficace, il ne risque rien face à Bitcoin. En revanche, si son adoption forcée ou son évolution vers un euro numérique trop centralisé pose des problèmes, il est normal que les citoyens et les entreprises cherchent des alternatives.
Nous ne sommes pas dans une logique de confrontation entre Bitcoin et l’euro, mais dans une réflexion sur la meilleure manière de garantir la souveraineté économique de la France. Bitcoin peut être vu comme un complément stratégique à l’euro, offrant une alternative d’actif réserve en cas de crise monétaire ou de tensions géopolitiques. Il est donc dans l’intérêt de la France d’examiner cette opportunité plutôt que de la rejeter par défaut.
Dans le contexte géopolitique actuel, quel rôle Bitcoin peut-il jouer ?
Bitcoin a un rôle majeur à jouer dans la recomposition des alliances et dans la réflexion sur la souveraineté économique. Aujourd’hui, nous voyons que de nombreux pays, notamment en Asie et en Amérique latine, cherchent à s’extraire du système financier dominé par les États-Unis. Les sanctions économiques, les amendes extraterritoriales et la dépendance au dollar sont de plus en plus perçues comme des risques stratégiques. Dans ce contexte, Bitcoin offre une alternative neutre, non contrôlée par un État particulier, qui permet aux nations d’accroître leur indépendance financière.
La France doit prendre en compte ces évolutions et anticiper l’avenir. Ignorer Bitcoin aujourd’hui, c’est potentiellement se retrouver en retard demain, quand d’autres pays auront pris les devants. En s’intéressant sérieusement à Bitcoin dès maintenant, la France pourrait renforcer sa position dans l’économie numérique de demain et éviter de subir les conséquences d’un retard d’adoption.
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“Nous ne sommes affiliés à aucun parti politique et nous ne faisons pas de distinction idéologique dans nos échanges” Trouvez-vous que les politiques sont davantage réceptifs au sujet Bitcoin ?
Oui, nous observons une évolution progressive de l’intérêt des politiques pour Bitcoin. Plusieurs partis commencent à travailler sur des doctrines plus claires concernant Bitcoin, et on voit des personnalités politiques de différents bords s’y intéresser. Par exemple, Sarah Knafo s’est positionnée sur le sujet au niveau européen, ce qui a créé un effet ricochet en obligeant d’autres responsables politiques à prendre position.
En revanche, la gauche rencontre encore des difficultés à aborder Bitcoin sous un angle positif, car le sujet entre en collision avec plusieurs sensibilités, notamment sur les questions environnementales et économiques. Cependant, nous constatons que des figures de la gauche modérée commencent à s’y intéresser, notamment parce que Bitcoin touche une population jeune et active, qui pourrait être un électorat à conquérir. L’objectif est de continuer ce travail de sensibilisation et d’amener le débat sur des bases rationnelles plutôt que sur des préjugés ou des idées préconçues.
Aux États-Unis ou en France, c’est la droite radicale ou l’extrême droite qui ont été les premières à se saisir du sujet. Pourriez-vous travailler avec ces courants ?
Nous, en tant qu'Institut National Bitcoin, nous ne sommes affiliés à aucun parti politique et nous ne faisons pas de distinction idéologique dans nos échanges. Notre mission est d’apporter une réflexion approfondie et des propositions concrètes sur Bitcoin pour la France. Si un parti politique, quel qu’il soit, décide de s’emparer du sujet, c’est son choix, mais cela ne change rien à la nature même de Bitcoin ni à son intérêt stratégique. Nous sommes prêts à discuter avec toutes les formations politiques qui souhaitent comprendre et intégrer Bitcoin dans leur réflexion, car notre but est que la France ne passe pas à côté de cette opportunité.
Par ailleurs, nous pensons qu’il est essentiel que Bitcoin ne soit pas capturé par un seul bord politique. Aux États-Unis, la droite a été la première à s’emparer du sujet, mais il commence à être repris par d’autres courants. En France, il serait dommage que Bitcoin soit perçu uniquement à travers le prisme d’un parti. C’est pourquoi nous cherchons à favoriser un débat large et rationnel, accessible à toutes les sensibilités politiques. Si certaines formations sont plus réceptives aujourd’hui, c’est aussi aux autres de prendre leurs responsabilités et de s’y intéresser pour ne pas laisser le monopole du sujet à un seul camp.
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