Philippe Meyer (BBVA Switzerland) : "Les cryptos sont en train de devenir des actifs comme les autres"
BBVA Switzerland a récemment étoffé ses services cryptos, notamment pour répondre à la demande de certains de ses clients. Nous en avons parlé avec Philippe Meyer, qui est le responsable "actifs numériques" de la branche suisse de la banque espagnole.
The Big Whale : BBVA Switzerland est l’une des banques les plus actives sur les sujets cryptos en Europe. Quelle est votre vision de ce marché ?
Philippe Meyer : Je diviserais le marché en deux avec d’un côté les cryptos, c’est-à-dire, le bitcoin, l’ether et les autres cryptos, et de l’autre les actifs numériques avec tout ce qui va tourner autour des tokens.
En ce qui concerne les cryptos, on voit bien que le Bear Market est terminé. Les marchés sont repartis même s'il peut y avoir de fortes baisses, comme on l’a vu ces derniers jours avec un bitcoin à moins de 60.000 dollars.
L’arrivée des ETF aux États-Unis a totalement changé la donne. Le bitcoin et l’ether sont reconnus comme des actifs légitimes par la SEC qui est la principale juridiction financière de la planète, donc c’est un changement gigantesque.
Même si ces ETF ne sont pas encore vendus en dehors des États-Unis, tout cela crédibilise le secteur.
Les choses ne sont pas encore complètement claires sur l’ether…
Oui, vous avez raison, mais les dossiers d’ETF Ethereum Spot ont été validés et la SEC doit juste donner son feu vert pour leur commercialisation.
Concernant les tokens, on voit clairement une institutionnalisation du secteur. La question n’est plus est-ce qu’il faut se positionner, mais comment. On est passés dans un domaine opérationnel.
Ce que font JP Morgan et BlackRock aux États-Unis ou des banques comme BBVA en Europe est un exemple flagrant. Nous ne sommes plus en train de chercher le domaine où le Web3 peut apporter une solution, il apporte des solutions, et il faut s’en servir.
À quel niveau justement ?
Passer par la blockchain permet de faciliter les choses à la fois dans l’exécution des opérations et la disponibilité des produits.
C’est aussi très intéressant dans le domaine du paiement et des transactions. Pour une banque, c’est plus efficace de basculer sur une blockchain que d’avoir chacune de nos jambes dans un réseau de paiement différent.
Depuis quelques mois, la prise de conscience du fait que les cryptos et la tokenisation apportent une vraie valeur est en train de s’imposer. Ces technologies sont en train de grignoter des domaines d’activité et elles vont progressivement remplacer l’infrastructure financière traditionnelle.
Quand on vous écoute, on se dit que le principal sujet est celui de l’infrastructure. Est-ce vraiment le cas ?
La dimension infrastructurelle est fondamentale. Beaucoup d’actifs vont être tokenisés, et notamment ceux qui existent déjà comme les actions, l’immobilier, le vin et tant d’autres.
Dans leur forme actuelle, beaucoup d’actifs sont compliqués à gérer et trader, alors qu’avec la tokenisation c’est plus efficace et même plus simple à distribuer.
Quel est l’intérêt pour vos clients ?
Au-delà des nouveaux actifs que sont les cryptos comme Bitcoin que je mettrais un peu à part comme réserve de valeur, tous les actifs numériques sont de nouveaux produits ou donnent accès à des produits, et c’est ce qui intéresse nos clients.
Pourquoi a-t-on autant l’impression que l’adoption patine ?
Ce n’est pas une impression, l’adoption patine en effet, et l’explication est assez simple à comprendre : les acteurs financiers ne savent pas bien marketer et commercialiser ces produits.
Beaucoup de banques ont testé des produits, mais à chaque fois ils l’ont fait en isolant les actifs numériques, ce qui fait que l’expérience utilisateur n’est pas bonne. Les clients doivent créer des comptes spéciaux, utiliser des applications dédiées. L’expérience ne peut pas être concluante.
Il y a un vrai sujet d’intégration des produits crypto dans le canal traditionnel du client. Acheter des bitcoins, de l’ether ou de l’USDC, doit être quelque chose de banal dans la vie du client.
C’est une vision très Web3 que de penser que les clients veulent absolument quelque chose dédié aux actifs numériques. Ce qui leur importe, c’est leur patrimoine et sa valeur.
L’activité blockchain de BBVA Switzerland est une activité comme une autre, alors que certaines banques comme Société Générale ont décidé d’isoler leurs activités blockchain. Quelle est selon vous la meilleure stratégie ?
Nous avons créé une unité dédiée dont je suis responsable, mais on s’appuie sur l’équipe informatique, la compliance, le legal, le risque, bref toutes les activités classiques de la banque pour gérer et pousser les activités crypto. Tout est diffus, nous ne sommes pas une unité verticale.
Comment vos clients achètent-ils des cryptos ?
Nos clients peuvent directement acheter de la crypto chez BBVA Switzerland. Pour le moment, seuls le bitcoin et l’ether sont disponibles, mais nous allons intégrer d’autres actifs, notamment les plus importants comme Solana.
Je ne pense pas que nous allons en rajouter tant que cela parce que nous devons aussi faire ce travail de tri pour les clients.
Pourquoi faire ce tri ?
Il y a un risque de réputation. On ne peut pas associer notre nom à des actifs qui pourraient disparaître demain.
L’autre point, c’est qu’aujourd’hui la grande partie de la demande de nos clients reste encore sur Bitcoin, Ethereum et justement Solana et quelques cryptos. Les cryptos restent encore pour nos clients un sujet de diversification, donc ils n’ont pas besoin d’accéder à des centaines de cryptos.
Pour bien servir les clients, il faut avoir des compétences en interne. Disposez-vous de ces compétences ? Si oui, lesquelles ?
Nous avons des experts du sujet. En interne, nous avons par exemple des experts du staking et des nouvelles tendances cryptos.
Est-ce que le fait de proposer des cryptos, vous a permis d’élargir d’attirer de nouveaux clients ?
Oui, très clairement, même si ce n’est pas l’objectif principal.
Sur vos 3000 clients, combien s’intéressent aux cryptos ?
Sur 3000 clients, nous avons 900 wallets dont à peu près 400 sont vraiment actifs, ce qui représente à peu près 15% de nos clients.
Il y a aujourd’hui des acteurs crypto comme les Exchanges ou même des banques crypto qui permettent d’accéder à ces produits. Sont-ils des concurrents pour vous ?
Nous ne sommes pas en compétition avec ces acteurs. Que ce soit les Exchanges ou les banques crypto comme Sygnum ou Amina, nous les voyons comme des acteurs complémentaires.
Comment gérez-vous la conservation des cryptos ?
Pour la partie conservation, nous travaillons avec Metaco. Nous avons deux types de clients. Les clients institutionnels qui ont chacun leur compte ségrégué et un compte omnibus pour les clients particuliers. Le régulateur suisse accepte ce système pour les clients particuliers.
Toute cette activité est gérée hors bilan, donc ce sont des fonds des clients auxquels on n’a pas le droit de toucher. C’est parfaitement sécurisé pour les clients. La seule différence avec l’omnibus account est que la table de répartition des fonds est dans notre système bancaire au lieu d’être sur la blockchain.
Le rachat de Metaco par l’Américain Ripple n’est-il pas un problème ?
Non, en tout cas pas pour le moment.
Aujourd’hui vous accélérez de plus en plus sur les sujets crypto. Est-ce parce que la demande des clients augmente ou parce que vous souhaitez anticiper les choses ?
Lorsque nous avons commencé à travailler sur les cryptos en 2018, ce n’était pas lié à la demande des clients. C’était vraiment la volonté de la direction qui disait qu’il fallait regarder le sujet et être présent.
Quelques années après, cette stratégie s’est révélée payante parce que nous sommes présents et que nous permettons à nos clients de se positionner sur des actifs qui offrent un rendement important.
L’univers financier évolue vite et c’est important d’être en avance sur les sujets émergents comme celui des actifs numériques. C’est ce qui fait que nous resterons une banque leader.
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.