The Big Whale : Bitcoin a progressé de 15% en une semaine. A quoi peut-on attribuer cette hausse fulgurante ?
Nicolas Chéron : Cette forte hausse peut s’expliquer par la combinaison de plusieurs facteurs. Premièrement, le Bitcoin rattrape son retard sur les indices américains Nasdaq et S&P500 qui avaient pris de l’avance alors que leurs dynamiques sont traditionnellement assez proches.
Deuxièmement, je pense que la sur-médiatisation des projets d’ETFs (fonds cotés, NDLR), et notamment celui de BlackRock , a énormément joué. Si ces produits sont acceptés par le gendarme boursier américain (SEC), des dizaines de millions d’Américains y auront accès, et cela aura un impact sur les marchés.
Troisièmement, le rachat de positions vendeuses (short) a certainement dû contribuer à accentuer la hausse, au moment où l’on assistait à une belle configuration technique de sortie du canal baissier. Tout cela s’apparente à du carburant pour offrir une belle hausse au bitcoin.
La résistance à 31.000 dollars a de nouveau stoppé le mouvement. Pourrait-il y avoir une vraie reprise haussière si celle-ci est franchie ?
Si nous voulons être précis, la résistance se situe dans une zone de prix compris entre 31.000 et 32.300 dollars. Celle-ci date du premier semestre 2022, et c’est un obstacle qui ne sera pas franchi facilement.
Mais même si c’était le cas, je resterai modéré. L’ensemble du marché crypto est à la peine à part Bitcoin… Nous sommes encore loin de la configuration d’un “Bull Run” généralisé.
Après, comme la SEC considère que c’est l’unique crypto qui n’est pas un titre financier, peut-être que nous assistons à la recomposition d’un secteur où Bitcoin deviendrait ultra-dominant… Dans l’éventualité où le Bitcoin casserait sa résistance, nous pouvons envisager qu’il ira vers les 38.000-40.000 dollars.
Comme vous l’avez dit, le Bitcoin est corrélé aux autres actifs “à risque” comme le Nasdaq. Pourquoi a-t-il sous-performé ces derniers mois face au Nasdaq ?
Les grandes plateformes d’échange comme Coinbase et Binance ont subi les foudres de la SEC . Même s’il n’est pas directement lié, c’est une mauvaise nouvelle pour le bitcoin, c’est un signal négatif pour le marché au sens large.
Au lieu d’aller sur les cryptos, les investisseurs sont, pour certains, allés spéculer sur le Nasdaq et évidemment les valeurs de l’intelligence artificielle, mais les choses sont en train de se rééquilibrer.
L’arrêt de l’augmentation des taux de la Fed est-il une bonne nouvelle pour le bitcoin ?
Au risque d’en décevoir certains, je rappelle que l’arrêt de l’augmentation des taux est uniquement passager ! Les taux devraient encore monter par la suite, comme la Fed l’a indiqué lors de sa dernière réunion de politique monétaire.
Le marché veut toujours voir le verre à moitié plein : certains pensent que les taux vont plafonner, mais c’est une vue de l’esprit. La Fed n’a pas réussi à refroidir l’économie, l’inflation a baissé, mais elle reste élevée.
Quelles futures décisions de politique monétaire anticipez-vous ?
La baisse des taux n'est pas pour demain. Et si elle arrive plus tôt que prévu, c'est qu'il y a eu un accident de marché. Mais ce ne sont pas tant les taux qui m'intéressent, plutôt que la liquidité.
Avec la faillite de certaines banques régionales américaines au printemps , la Fed a maintenu ses taux élevés tout en injectant des liquidités dans l’économie, et cela a fait monter la valeur des actifs risqués.
C’est la preuve que les banquiers centraux peuvent booster les prix des actifs malgré des taux élevés. Si les taux baissaient, cela voudrait dire que nous assistons à la fin d’un cycle, une récession, une hausse du chômage, une baisse du pouvoir d’achat, etc. Bref, un scénario qui ne favorise pas les prises de risque.
À mon avis, je pense que l’on assistera à des mesures exceptionnelles, comme en 2022, 2021 et 2020, c’est-à-dire que les banques centrales trouveront un moyen pour soutenir les marchés alors que l’économie chute, afin de maintenir artificiellement la richesse des “détenants” pendant que “Main Street” en bave (Main Street désigne le reste de la société en opposition à Wall Street, ndlr.)
Pourquoi le lancement d’un ETF n’est pas forcément une bonne nouvelle ?
Je n’aime pas les lancements de produits en pleine “hype”. Si nous regardons dans d’autres secteurs, le lancement du premier ETF sur l’uranium coïncidait avec son top de marché. Le lancement des contrats futures sur Bitcoin fin 2017 a également coïncidé avec son top de marché à l’époque.
L’évocation d’un ETF Bitcoin après une hausse de 100% de son cours depuis novembre alors que les indices ont gagné 40% me fait douter de la pertinence de la chose…. mais je me trompe souvent aussi (rires) .
Le ralentissement de la croissance en Europe et aux États-Unis va-t-il obliger les banques centrales à réinjecter des liquidités sur le marché ?
Un ralentissement de l’économie, voire pire, pourrait nécessiter des injections de liquidités. Ces injections neutraliseraient l'aversion au risque, mais suffiraient-elles à faire monter les actifs risqués, comme le bitcoin, alors que l’économie est en chute libre ? Pas si sûr !
Nos économies sont-elles devenues trop dépendantes des politiques monétaires ultra-accommodantes ? En d’autres termes, le système est-il cassé ?
Le système est cassé depuis longtemps. Depuis 2008 les banques centrales injectent de l’argent, il n’y a qu’à regarder le Nikkei qui monte depuis 2012 en corrélation totale avec le bilan de la banque centrale japonaise.
Nos économies tournent en créant toujours plus de dettes, les marchés sont soutenus par de plus en plus de création monétaire via des injections de liquidités et donc de la dette. C’est une fuite en avant, qui ne pourra pas bien se finir…
Quels actifs permettent de se protéger à long terme des conséquences de tout cela. L’or et le Bitcoin ?
Je pense qu’aucun actif en particulier ne permet de nous protéger des conséquences de cette folie monétaire. C’est la diversification d’actifs qui vous protège.
À titre personnel, j’ai des actions, je suis investi dans la crypto au cas où cette classe d’actifs performe, je suis également investi sur l’or au cas où le climat géopolitique se détériore, et ce qu’il s’est passé ces derniers mois ne peut que me donner raison !
* Nicolas Chéron est actionnaire minoritaire à titre individuel de The Big Whale