Art digital : comment les NFT sont devenus une nouvelle classe d'actifs
Après la flambée de 2021, le marché des NFT a fortement chuté. Mais depuis quelques mois, il repart et l'arrivée de nouveaux investisseurs témoigne d'une certaine maturité.
Les NFT ont indéniablement été les stars de la dernière fièvre spéculative qui a touché le marché en 2021. Des centaines de collections émergent alors en pagaille, s'échangeant parfois à plusieurs millions d'euros auprès d'investisseurs croyant à un nouvel Eldorado.
“Il était facile d'imaginer être le prochain Picasso. Même avec une collection générée à la va-vite, il était possible de gagner beaucoup d'argent”, glisse un investisseur du secteur.
“Pour la première fois, les NFT ont permis à des artistes d'avoir une audience mondiale. C'est en grande partie ce qui explique la frénésie spéculative à laquelle nous avons assisté en 2021”, remarque Sebastian Sanchez, Manager Digital Art au sein de la maison de vente Christie's.
Mais la bulle étant retombée depuis, la quasi-totalité des NFT à visée artistique ne valent plus grande chose aujourd'hui. “La montée spectaculaire des cours a créé beaucoup d'incompréhension et a globalement fait du mal au marché”, confie un collectionneur d'art contemporain traditionnel qui s'est engagé sur le segment des NFT.
Pourtant, au cœur de la folie spéculative, un événement a changé beaucoup de choses. En mars 2021, la maison de vente Christie's vend pour 69,3 millions de dollars “Everyday : The First 5,000 Days”.
Ce tableau nativement numérique est l'œuvre de Beeple, de son vrai nom Mike Winkelmann. Alors inconnu au bataillon, cet artiste américain fait pourtant avec cette première vente son entrée dans le trio des artistes les plus chers du monde de leur vivant, juste derrière David Hockney et Jeff Koons.
"Même si ce marché a traversé une sorte de désert pendant deux ans, cette vente a montré que l'art numérique a de l'avenir et les caractéristiques pour se structurer. Les choses sont d'ailleurs en train de repartir ces derniers mois", explique Sebastian Sanchez.
Des critères de sélection qui émergent
Alors comment identifier la valeur d'un NFT ? C'est ce que tente de déterminer Grail Capital, un fonds d'investissement dédié au sujet lancé il y a un peu plus d'un an par Jean-Michel Pailhon*.
“En pleine traversée du désert, une vingtaine de collections ont commencé à être validées par les grands institutionnels du monde de l'art qui ont confirmé leur valeur culturelle et donc économique. Il est aussi intéressant d’observer que les NFT reprennent les codes d’une classe d’actifs traditionnels”, explique cet ancien haut cadre de Ledger, collectionneur de NFT de la première heure. Le Centre Pompidou a d’ailleurs annoncé l’acquisition d’un CryptoPunks en février de l’année dernière.
Grail Capital tente de proposer une sorte de taxonomie, soit le fait de classifier, pour observer le marché. Parmi les collections qui ont émergé et tiré leur épingle du jeu, on peut notamment citer en compagnie des emblématiques CryptoPunks, les Ringers ou encore les Fidenza. Des tendances ont également émergé comme le Generative Art, l'IA Art ou encore le Digital Painting, catégorie à laquelle appartient l'œuvre phare de Beeple.
"Dans le marché de l'art, la manière de concevoir une œuvre contribue à en déterminer sa valeur. Le numérique permet d'en faire émerger de nouvelles. L'œuvre de Beeple a par exemple été entièrement réalisée grâce à un ordinateur avec un concept précis propre à l'artiste, ce qui contribue à lui conférer une valeur", analyse Sebastian Sanchez.
"Il est amusant de constater que dans la foulée de l'émergence de l'intelligence artificielle, l'IA Art a également connu une explosion importante. Les logiciels comme Midjourney ont permis à n'importe qui de générer des images et d'en faire des NFT", explique Jean-Michel Pailhon. "Pourtant, les artistes ayant la cote dans le domaine sont des artistes ayant réalisé des œuvres avec l'intelligence artificielle avant la tendance, comme Robbie Barrat. Les CryptoPunks se sont également lancé avant la grande tendance de 2021", complète-t-il.
"Comme dans l'art contemporain traditionnel, certains artistes nous sollicitent pour concevoir des outils technologiques qui leur permettront d'exprimer leur art du mieux possible en créant une sorte de Midjourney personnalisé", explique un développeur informatique.
Certains artistes ont d’ailleurs vu un nouveau concept à exploiter avec l’émergence des Ordinals sur bitcoin (lire notre article sur le sujet) qui permettent de créer des NFT sur la première des blockchains en numérotant les satoshis qui composent un bitcoin.
"Ce qui les attire, c’est le nouveau concept de rareté permis par cette numérotation", explique Romain Nouzareth, CEO de Sato Technology, une entreprise de minage de bitcoin qui a accompagné l’artiste japonais Takeru Amano pour le lancement de sa collection "Magic Eden".
Une “affaire générationnelle”
"Aujourd'hui, la majorité des acheteurs de NFT ont moins de 40 ans et travaillent dans la Tech", explique Sebastian Sanchez. "Le monde de l'art traditionnel est encore loin de s'y intéresser", complète-t-il.
Pourtant, le Manager Digital Art de chez Christie's considère que la normalisation des NFT comme œuvre d'art est inévitable. "C'est une affaire de génération qui a grandi avec les réflexes d'Internet et ses propres codes. Je dirais qu'il se passera encore une dizaine d'années avant que cela n'arrive", anticipe-t-il.
"Le marché porte encore les stigmates causés par la mauvaise réputation issue de la dernière phase de spéculation. Comme c'est un marché très jeune, il est également difficile d'avoir le recul suffisant pour visualiser avec certitude à quoi il ressemblera dans un futur proche", remarque Jean-Michel Pailhon. "La grande question est de savoir si dans 10 ans, quelqu'un qui aura fait fortune optera plutôt pour un Warhol ou un CryptoPunks. Chez Grail Capital, nous penchons pour la deuxième option", conclut-il.
Jean-Michel Pailhon est actionnaire minoritaire à titre individuel de The Big Whale*
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.