Yat Siu (Animoca Brands) : “Il y aura autant de métavers que de villes”
En quelques années, Animoca Brands s’est imposé comme l’un des géants du Web3 avec des investissements dans plus de 300 start-up crypto et NFT. Pourquoi un telle boulimie ? Dans quel but ? On en a parlé avec son fondateur.
Mieux que jamais (rires) ! Encore une fois, il y a les marchés dont on parle beaucoup et qui sont la surface, et puis il y a tous les projets qui se construisent et se développent sous cette surface 🐳. Ce sont ces derniers sur lesquels nous misons. Rien que sur ces trois derniers mois, nous avons investi dans 40 start-up, soit un total de 380 projets.
Certaines entreprises de votre portefeuille ont-elles été touchées par la baisse des marchés ?
Bien sûr, nous avons eu quelques soucis avec des projets, mais ce sont des cas isolés. 99% des entreprises de notre portefeuille vont bien, très bien même. Celles qui sont en difficulté ont toutes comme point commun l’écosystème Terra et l’effondrement de l’UST.
Vous avez levé 400 millions de dollars en début d’année, et encore un peu plus de 100 millions de dollars il y a seulement quelques semaines. Pourquoi ? Avez-vous besoin d’argent ?
Animoca Brands (900 salariés) est une société un peu à part. Nous nous voyons comme une porte d’entrée sur le Web3 pour les entreprises qui voudraient y investir. Notre objectif est d’attirer toutes les entreprises qui ne savent pas comment faire pour pénétrer ce secteur.
La dernière levée de fonds a été réalisée avec plusieurs acteurs que nous connaissons très bien comme le fonds True Global Ventures (l'un des principaux investisseurs dans Animoca Brands, ndlr), et il y a aussi de nouveaux entrants comme le fonds GGV, Temasek (fonds souverain de Singapour) et Boyu Capital. Pour nous, c’est important d’attirer des acteurs qui viennent du monde traditionnel. Nous voulons rapprocher les deux mondes.
Qu’est-ce qui plaît à ces investisseurs ?
La force d’Animoca Brands, c’est notre connaissance du marché et notre transparence : lorsque vous investissez chez nous, vous êtes là pour le long terme, pas pour réaliser des performances à court terme. Et puis nous avons une conviction très forte sur l’avenir du Web3, dans les valeurs qu’il porte comme le contrôle des données, la décentralisation… C’est d’ailleurs pour cette raison que nous investissons dans beaucoup de projets. Trop de fonds sont en train de chercher le bon cheval, l’investissement qui va leur rapporter des milliards rapidement, mais cette vision est tellement Web2, ça ne marche pas comme ça dans le Web3.
N’avez-vous pas peur d’investir dans trop d’entreprises ?
Non pas du tout. Quels que soient nos investissements, nous avons toujours deux grands principes.
Le premier, c’est que le projet doit toujours avoir un lien avec le marché des NFT. Le second c’est qu’il doit être lié à l’adoption de masse.
Cette approche est très avantageuse parce que si l’un des projets dans lesquels nous avons investi ne fonctionne pas, nous pouvons lui trouver une autre utilité. Prenez le cas d’un Bored Ape (lire notre enquête), d’un land dans Decentraland ou d’un Cool Cats. Ils peuvent servir dans plein d’univers. C’est tout l’avantage de l'interopérabilité des métavers et de la blockchain.
The Sandbox est-il votre plus gros investissement ? Quel est le lien exact entre Animoca et The Sandbox ?
The Sandbox est l’un de nos premiers investissements dans le secteur. Nous sommes majoritaires au capital. Nous avons aussi investi dans Decentraland. En 2018, il n’y avait pas beaucoup de choix en matière de metavers, donc nous avons choisi d’investir dans les deux.
Pensez vous qu’il y aura plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de métavers ?
Combien y a-t-il de villes dans le monde ? Au moins des centaines de milliers. Un métavers est comme une ville, vous y rentrez et vous en sortez. Je pense qu’il y aura donc autant de métavers que de villes.
Lors de sa création en 2015, Animoca Brand était un studio de jeux vidéo. Aujourd’hui vous êtes une société d’investissement. Pourquoi ce virage ?
Certains parlent de nous comme d’un conglomérat Web3, d’autres comme comme du Tencent du Web3… Mais en réalité, nous ne sommes ni l’un ni l’autre. Tencent est un géant du jeu vidéo. Ils sont propriétaires de Riot Games, Supercell, ils ont des parts dans Epic Games (qui se met aux NFT, ndlr). Bref, ils sont partout. Mais leur objectif n’est pas de développer le monde du gaming, ils souhaitent mettre ce secteur sous domination chinoise. Nous ne sommes pas du tout dans cette optique.
Nous avons été l’un des premiers investisseurs dans The Sandbox et Decentraland. Nous aurions pu nous concentrer sur ces deux métavers et devenir hégémoniques, mais ce n’est pas notre philosophie. Nous voulons créer un Web3 vraiment décentralisé, et c’est pour cette raison que nous avons investi dans des métavers comme Trivver, Blocktopia. Nous avons aussi participé au développement d’Otherside, le métavers des Bored Ape. Ces projets n’ont de valeur que parce qu’il y en a d’autres, parce qu’il y a de la concurrence, comme Apple par rapport à Samsung. C’est une question de philosophie.
Vous allez continuer à investir ?
Nous pensons qu’il faut réinvestir dans cet écosystème pour qu’il continue de grandir. C’est ce qui a fait le succès de la Silicon Valley. Quand vous allez à Palo Alto et dans la région, la connexion Internet n’est pas très bonne, les infrastructures sont vieillissantes, et pourtant c’est la Mecque de la Tech, là où beaucoup de grands projets continuent de se lancer. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas que la connexion internet et les routes qui comptent, il faut aussi la bonne mentalité, et là-bas, les gens réinvestissent beaucoup.
Ils ne gardent pas l’argent pour eux. Ils réinvestissent toujours dans l’écosystème, que ce soit une petite start-up ou un géant qui va rejoindre Wall Street. C’est exactement notre mentalité. Je veux que nous redonnions au secteur ce qu’il nous a donné. Dans la Silicon Valley, si vous n’investissez pas dans des nouvelles start-up, vous n’êtes pas cool.
Comment Animoca Brands gagne-t-il de l’argent ?
La grande majorité de nos revenus sont issus des frais de transaction, de la vente de NFT, de parcelles dans les métavers. Nous avons aussi beaucoup de cryptos (plus de 3 milliards de dollars, ndlr). Sur le premier semestre, nous avons enregistré 550 millions de dollars de revenus, un chiffre en nette hausse par rapport à 2021.
Vous êtes aujourd’hui valorisé 6 milliards de dollars. Prévoyez-vous d’entrer en Bourse ? Et quand ?
Oui c’est prévu, mais nous avons encore de nombreux points à régler, notamment en ce qui concerne la comptabilité
Que pensez vous de l’Europe ? Est-elle en pointe sur le Web3 ?
Je fais un tour d’Europe et on ressent un peu partout la même culture. Je pense que l’Europe a une carte à jouer parce qu’elle a des champions et qu’elle peut mettre en place une régulation qui fera d’elle un leader.
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.